Rached Ghannouchi, proche des Frères musulmans, condamné à perpétuité par Bourguiba en 1991, revenu en 2011 d’un exil de vingt ans en Angleterre où il avait obtenu l’asile politique, est le président du parti Ennahdha, devenu la deuxième force politique de Tunisie. Il défend devant les questions incisives d’Olivier Ravanello, un islam qu’il voudrait raisonnable.
Il condamne sans réserve le terrorisme (mais banalise comme terrorisme les attentats anti-Juifs sans même prononcer le mot d’antisémitisme) et en même temps accorde beaucoup à la raison d’Etat, trébuchant parfois sur l’obstacle – ainsi à propos de la lapidation en Arabie saoudite : « C’est une partie de leur système légal. Chaque pays en choisit un. Par exemple la peine de mort, certains Etats des Etats-Unis l’appliquent d’autres l’interdisent. Et on ne dit pas que ce système de la peine de mort est sauvage. On peut refuser ce système, mais chaque pays choisira celui qu’il voit comme étant le meilleur. La loi est l’expression de la volonté d’un peuple… » (p. 79) De même sur le statut de la femme, à propos de quoi il use d’une dialectique grossière, pastichant de manière assez indécente le « la femme est l’avenir de l’homme de Aragon et Ferrat : la femme « est l’avenir de l’islam ». En l’occurrence la femme aurait les mêmes droits que l’homme, mais ces droits doivent être assortis de devoirs. Comme l’homme a de surcroît la charge d’entretenir la femme, n’est-il pas normal et juste que le frère bénéficie d’une part plus considérable de l’héritage que la sœur ? « Une fille va se marier et ses dépenses seront prises en charge par son mari alors que lui épousera une femme qu’il devra entretenir. L’héritage ne reflète pas la valeur de la femme par rapport à l’homme, ils sont égaux par rapport à la valeur humaine, mais ils n’ont pas les mêmes devoirs et droits dans la société. » (p. 114)
Quant à l’homosexualité « si quelqu’un a cette pratique dans la vie privée nous ne le criminalisons pas » (p. 59) : autrement dit l’homosexualité n’aura dans la société de Ghannouchi d’existence que clandestine. Il n’y a officiellement pas d’homosexualité en Islam !
On le voit donc : sur ces questions comme sur d’autres le raisonnable pour Ghannouchi est de respecter la raison des Etats ou la raison d’Etat, mais celle-ci même reste en définitive jaugée à partir de l’islam. Et si dans un pays (par exemple en France) il faut conseiller aux musulmans de se plier aux lois de l’Etat, c’est aussi afin de leur permettre de prendre, comme tels, toute leur place à l’intérieur de ce pays, et en fin de compte d’y jouer un rôle décisif en leur qualité de musulmans (à la manière du Ben Abbes de Houellebecq, qui, dirigeant de la « Fraternité musulmane », maîtrisant complètement les codes de la société française, réussit à accéder à la présidence de la République).
Au total, ce mélange de propos convenables (le refus du terrorisme, le respect des Etats démocratiques…) et de messages (à peine) subliminaux fait qu’en dépit de la modération du ton on ne se défend pas d’une permanente impression de malentendu et de langue de bois.
Olivier Ravanello, Rached Ghannouchi Au sujet de l’islam (Plon avril 2015)