« Le rire, a dit Louis de Funès dans une interview, c’est la sincérité ». La formule fait réfléchir. Car il ne dit pas, comme on aurait pu s’y attendre « quand je ris, je suis sincère », il va infiniment plus loin. Posons-nous en effet la question : dans quelle mesure suis-je sincère ? Puis-je dire vraiment : « je suis sincère » ? Sincèrement, si je suis sincère avec moi-même (et pas même en consentant à cet aveu) : non. Dès qu’il y va de mon « je », de ma position dans la société, je cesse d’être sincère, parce que toute position sociale suppose une insincérité.
« C’est là ma place au soleil … voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre ». Cette pensée de Pascal (que Levinas avait choisie comme exergue de son maître-livre, Autrement qu’être) reconnaît l’impossibilité de la sincérité du moi, qui est « haïssable ».
En disant « c’est la sincérité », Louis de Funès permet donc de toucher à quelque chose de profond, concernant l’essence du rire. Car ce dernier, qui fait tout exploser dans son éclat, emporte au premier chef le rieur, le moi qui se conforte des valeurs sociales : « je » éclate de rire. De sorte encore qu’un rire qui installerait aux dépens d’un tiers l’humoriste et son public dans une position renforcée est par rapport à la vocation du rire une imposture. Le rôle de bouffon du roi est noble si le bouffon et le roi comprennent en riant que « pour grand que soient les rois ils sont ce que nous sommes ». Lorsque l’objectif du bouffon est au contraire de s’installer davantage, de se gonfler d’importance sur le dos de quelque bouc émissaire, il n’est plus hélas qu’un pauvre type, un triste sire (le « dernier homme » disait Nietzsche) faisant seulement commerce du ressentiment social.