Quel bilan tirer de la journée du 21 juin sur le génocide des Tutsi ?
Chacun bien sûr aura son opinion et est absolument légitime à l’avoir. Je voudrais donner ici la mienne, en adoptant un triple point de vue :
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en elle-même il me semble que la journée a été réussie ; réussie dans ses prestations, les conférenciers selon moi étaient tous très bons, extrêmement compétents dans leur domaine d’intervention, la compétence étant en l’occurrence faite d’un mixte de connaissances approfondies et d’engagement humain exceptionnel ; réussie aussi dans sa matérialité, la qualité de la salle, le public nombreux (il y a eu des moments de la journée où la salle de 150 places n’était pas loin d’être complètement pleine.) Les problèmes de gestion du temps qui ont été manifestes au fur et à mesure qu’on s’orientait vers la fin de la journée, sont la contrepartie de cette réussite : presque tous les intervenants prévus sont venus (quand on organise un colloque on est contraint de compter avec d’éventuelles défections de dernière minute et donc de prévoir « serré ». Ici presque tous sont venus) ; le film qui a été tourné et qui est en train d’être monté pourra permettre de revoir des moments importants du colloque et de laisser une trace pour ceux qui n’ont pas pu y assister ; enfin beaucoup de personnes, pour qui la question du génocide est importante, étaient présents (à commencer par l’ambassadeur Jacques Kabalé). Last but not least je voudrais ajouter, en donnant quelques détails, que le colloque a été relativement bon marché (la salle était gratuite, nous n’avons pas eu à payer les intervenants, relativement peu de défraiement, le film ne nous a coûté que le prix du matériel – 1000 € pour 6 heures de tournage et le montage, la preneuse de son et les deux opérateurs ayant travaillé gracieusement – le restaurant ayant pratiqué un prix très raisonnable, de 16 € offerts à une trentaine de personnes, le reste étant ramené à 13€. Le total atteint à peu près 3000€ dont 2500 € pour la Licra.
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Du point de vue de la Licra : ce colloque était un événement Licra et authentifié comme tel par le discours d’ouverture d’Alain Jakubowicz, dont je me plais à souligner qu’il a été présent symboliquement et plus que symboliquement, puisqu’il a participé activement à toute la matinée. Le colloque, a conclu, en sa qualité de président, Gérard Unger, a été organisé et voulu par la commission MHDH.
Mon point de vue est plus réservé : j’ai vécu l’organisation du colloque dans une solitude, à peu près totale, en en portant seul le poids – avec à chaque étape le sentiment de pouvoir tout rater – devant résoudre seul (j’excepte le siège qui a bien joué utilement et activement son rôle) chacune des nombreuses difficultés que je rencontrais (le concept du colloque, et l’organisation des conférences, le choix et la mobilisation des intervenants – qu’il fallait convaincre de participer, et qui ont tous consenti à le faire pro bono – la salle, le tournage du film, le restaurant, le café, les voyages des intervenants, l’avance des fonds, la mobilisation du public – j’ai envoyé plusieurs centaines de mails – La revue Esprit m’a donné son accord pour une publication : il va falloir maintenant concrétiser. Etc…) En termes de présence au colloque le bilan n’est pas non plus probant : quelques membres de la commission étaient présents (nous étions 8 si je ne me trompe pas) et à peu près autant de membres du bureau et du Conseil fédéral (dont, je le répète la présence de notre président – et il y avait de surcroît huit dijonnais qui ont fait le voyage, sans doute davantage que d’adhérents de la Licra Paris, absents quel que soit le bord électoral où ils se situent. La secrétaire générale de Paris en particulier a cru bon de m’écrire sa profonde indifférence au colloque). Bref « après la bataille » je considère que la commission, sous sa forme actuelle, pour de multiples raisons, ne fonctionne pas. Après y avoir figuré et travaillé avec conviction et sincérité pendant 5 ans, et en dépit d’événements – notamment le colloque sur les Harkis prolongé par le numéro spécial des Temps modernes, le café Licra, le colloque sur l’année 42, et donc ce colloque sur le Rwanda – qui n’ont été chaque fois permis que par très peu d’entre nous, il me semble inutile de s’obstiner et de continuer à faire croire à l’existence d’une entité qui n’est que fantomatique. J’ai en tête un projet qui me semble utile pour la Licra, une commission « Livres », ou plutôt ce qui sera une branche de la Commission Culture, branche dont je suis en train de préciser le mode de fonctionnement possible avec Mano Siri. Je vous enverrai prochainement un mail sur ce projet auquel j’espère que beaucoup d’entre vous pourront s’associer.
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Au-delà du colloque, j’ai eu le privilège d’accompagner à Kigali, du 23 au 30 juin, Annie Faure, médecin d’avril à juillet 94 au Rwanda avec Médecins du monde. Ce voyage a été pour moi, guidé que j’étais par elle, en quelque sorte initiatique : j’ai pu rencontrer un certain nombre de personnes, parmi lesquelles l’écrivain Venuste Kahimahe, Jean de Dieu Mucyo, qui a présidé en 2008 la fameuse commission Mucyo, et sept femmes, portant plainte pour viols par des militaires français de Turquoise, dont Annie est en train de rassembler les témoignages pour le pôle sur les génocides (la Licra là aussi pourrait s’impliquer dans les dossiers). Au-delà de ces rencontres j’ai vu un pays incroyable, né du vide total et de l’horreur sans nom de l’après-génocide, mobilisé aujourd’hui par un patriotisme de tous les instants, la réussite du pays étant, autant que je comprenne, la réponse apportée à ce challenge a priori insensé de faire vivre ensemble génocidaires et rescapés. J’irai dans le sens de l’intervention au colloque de Jean-Loup Denblyden, ancien lieutenant-colonel de l’armée belge, ancien ingénieur au Cern, aujourd’hui belgo-rwandais vivant à Kigali (où je l’ai retrouvé) : le Rwanda n’est nullement une dictature (j’ai eu vraiment tort d’utiliser à propos de Kagamé, dans l’article du DDV, sur la foi d’un article américain, l’expression de « dictateur éclairé » il ne s’agit pas de démocratie au sens où nous la pratiquons en Europe, le génocide est en pointillé dans chaque situation de la vie quotidienne, mais il ne s’agit pas de dictature), on voit relativement peu de police (parfois pas assez, il en faudrait pour surveiller les mœurs en matière de conduite automobile) même si la sécurité semble très convenable (on peut se promener sans risque à n’importe quelle heure du jour et de la nuit) les partis politiques existent (aucun, y compris celui qui représente Kagamé, n’étant autorisé à dépasser 50%), la peine de mort est supprimée depuis 2007, il existe une politique sociale, une sécurité sociale, il y a plus de 60% de femmes au parlement, une presse existe, qui n’est pas la presse gouvernementale – et tous les livres, même Lugan, même Péan, sont en vente à Kigali). Ce qui est vrai c’est que le passé, la présence récurrente de nostalgiques du génocide, des attentats, donnent à chacun un sentiment de précarité, que la peur du retour en arrière est sensible dans les conversations, qu’une partie de la population, même parmi les jeunes qui sont nés après, est traumatisée. Une formule qui revient souvent dans les conversations est « on n’a pas le choix ». En brera, comme disent les Israéliens (l’analogie avec l’Israël d’après guerre s’imposant à plus d’un titre).
Enfin, les Dijonnais sont en train de discuter avec la mairie pour qu’une stèle ou un monument du souvenir soit érigé à Dijon. Il en existe actuellement quatre en France, à Bègles, à Cluny, à Dieulefit et à Chalette sur Loing. Ce sont de petites localités. Dijon (200000 habitants) serait une première.
Alain David