Couleurs de Dominique Decherf (Pascal Galodé 2012)

Deux aspects à mettre en exergue, pour ce livre incroyablement riche : d’une part, (évidemment) la volonté, affichée d’emblée, de lutter contre le racisme.  Ensuite, la conscience que la bonne intention antiraciste ne suffit pas, il faut l’épreuve du réel. Faute de rendre justice ici au parcours flamboyant d’un livre qui fait halte à toutes les étapes de l’ histoire africaine elle-même constamment compliquée par le jeu des puissances, j’insisterai seulement sur un mot, apparemment rétro (voire équivoque et dangereux) qui sert d’intitulé : celui de « couleurs ». Une couleur est ordinairement une modalité du visible, c’est-à-dire pour le sens commun un mot banal, presque indifférent (blanc, noir, rouge…) ou pour le scientifique une grandeur complexe (fréquence). Or, il n’en est pas de même dans le cas du racisme ou de l’art : la couleur s’y accompagne d’épithètes suggérant le trouble, avouant qu’on n’est pas quitte avec le réel – « sale noir ! », « quel bleu ! » La couleur vient alors qualifier l’inouï (am farbigen Abglanz haben wir das Leben, « c’est dans son reflet coloré que se trouve la vie ! », dit  Goethe).  Decherf a l’intuition géniale de placer son récit de l’Afrique sous le signe de la couleur, et par ricochet de corriger le réel de la mondialisation par la récurrence de cette singularité. Cette démarche, où la description (la phénoménologie si l’on veut) déconstruit tous les concepts trop abstraits de la géopolitique, est l’envers exact de la caricature dont le discours de Dakar (qui reprenait au fond le geste de la pensée hégélienne, refusant au bénéfice du concept la singularité de la couleur) nous avait offert l’indigent spectacle, et, arrachant l’Afrique à son statut abstrait de continent noir et invisible, elle nous la met au cœur.

 

Deux petites colonnes

Dominique Decherf est diplomate de carrière, ancien consul général à Jérusalem et à Chicago, ambassadeur au Rwanda de 2004 à 2006, puis à Djibouti (2007-2010). Swahilisant, marié à une africaine, père adoptif d’un enfant noir, il vit aujourd’hui au Kenya.

Pour l’un des plus grands philosophes de l’Occident, Hegel, au début du XIXème siècle, l’Africain est un être purement naturel, un grand enfant incapable  de dialectique, et l’Afrique n’a pas d’histoire. Le journaliste « africaniste » Stephen Smith avait en 2003 écrit un livre, Négrologie, reprenant littéralement ces thèmes. Ce dernier livre a inspiré manifestement l’auteur, quel qu’il ait été,  du « Discours de Dakar ».

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