Harkis – les mythes et les faits

Harkis – les mythes et les faits.

L’histoire des Harkis nous est en effet parvenue à travers deux types de récits opposés, deux mythes, mensongers,  désastreux, l’un et l’autre :

  • le mythe de gauche, qui avait fait des Harkis des « collabos », face à une Algérie résistante (et donc à une métropole jouant le rôle de l’Allemagne nazie : mais l’extrapolation mémorielle n’ose pas aller jusque là) ;  
  • le mythe de droite, qui prétendit voir en eux des défenseurs fervents de l’Algérie française, engagés par idéal aux côtés de la France et trahis par le pouvoir gaulliste, par la gauche, par « l’anti-France ».

 

Il est, certes, toujours salutaire de substituer les faits aux mythes, opposant ainsi au mensonge la vérité. Mais, dans le cas des Harkis c’est sans doute plus nécessaire encore, dans la mesure déjà où ils attestent d’une blessure qui perdure. Blessure pour des hommes et des femmes, pour leurs enfants et, aujourd’hui, pour les enfants de leurs enfants, qui ont connu l’horreur, massacrés en masse dans des conditions atroces en 1962 (entre 50000 et 100000 morts, selon les estimations les plus vraisemblables), relégués, pour ceux qui  échappèrent, dans des camps en France, jusque très tard, au tournant des années 70-80 ; ou qui furent, de l’autre côté de la Méditerranée,  traités en sous-citoyens quand ils n’étaient pas enfermés indéfiniment, sans jugement, privés de toute espérance, tels des morts-vivants, dans les prisons du FLN. 

               Il y a là donc une blessure, et des responsabilités : la responsabilité de l’état algérien, qui viola les accords d’Evian, livrant des vieillards, des femmes, des enfants, à une barbarie déchaînée ; la responsabilité de l’état français également (et surtout), pour avoir permis une situation coloniale au terme de laquelle il passa par pertes et profits les victimes collatérales d’un conflit qu’on ne peut considérer aujourd’hui que comme criminel et absurde. Responsabilité, encore,  que l’état français n’assuma  pas, même le conflit terminé, sur son propre territoire, en enfermant les désormais susnommés Harkis qui rappelaient par trop le démenti infligé par l’histoire : comme on cache la poussière sous le tapis.

Tout cela est établi, montré, par des chercheurs reconnus, au savoir et à la rigueur incontestables. Et tout cela à soi seul, en justifierait la lecture.

              Il faut pointer cependant  une dimension de plus, qui en fait alors un travail d’exception : c’est l’introduction de l’hypothèse du crime contre l’humanité. Car si l’Histoire a infligé aux Harkis ce destin accablant à quoi renvoie aujourd’hui encore leur nom, c’est que la colonisation comme les circonstances de la guerre avaient fait d’eux des néants d’identités, délaissés, abandonnés, comme on abandonne des animaux, comme on abandonne des objets, lesquels perdent alors même leur qualités d’objet pour devenir des riens, choses informelles,  immondices perdus au milieu d’une décharge.

L’hypothèse du crime contre l’humanité, donc. Il faut le formuler ainsi, car celui-ci  est toujours une hypothèse, avancée à côté de l’expertise du droit et de l’histoire : une hypothèse morale, dont le poids est porté, dans le cas présent,  par des associations et par une revue qui, depuis sa fondation, s’est définie par les grandes voix qui ont suscité son existence. Hypothèse qui traduit ainsi  la volonté d’une humanité qui prétend continuer à reconnaître les traits humains là où ceux-ci ont été estompés et sont devenus indéfinissables.

Cette hypothèse est  risquée et expose à tous les risques : pourtant – cette question est récurrente depuis Nuremberg : que se passerait-il si on en refusait le risque ?

Disons alors pour conclure que la chose remarquable dans ce numéro des Temps modernes est que des hommes de culture et de savoir ne l’aient pas exclue, sans jamais cependant céder sur l’honnêteté et le sérieux de leur recherche, apportant ainsi quelque chose d’absolument inédit, de désormais nécessaire.

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