Depuis 2003 Jean-Claude Milner poursuit une réflexion sur le judaïsme, montrant le lien complexe que ce dernier entretient avec l’identité contemporaine. Quatrième livre écrit en ce sens, Le sage trompeur prend appui sur un passage du Traité théologico-politique de Spinoza, « hodie Judaei… » : « aujourd’hui les Juifs n’ont absolument rien à s’attribuer qui doive les mettre au-dessus de toutes les nations… » Ne pouvant entrer ici dans les méandres du livre extraordinairement subtil de Milner, je dirai seulement qu’il ne s’agit pas d’un travail d’érudition sur Spinoza mais de la mise en perspective de la thèse contenue dans les trois premiers livres. Les dernières lignes le diront d’ailleurs mieux, avec l’intérêt de faire découvrir un peu de l’écriture magnifique de Milner :
« Puisque le nom juif passe pour le plus puissant fauteur de troubles que l’histoire ait produit, ils [les contemporains] supposent qu’avec son abolition, la haine ira s’éteignant dans les cœurs. Débordants d’amour intellectuel pour l’humanité, ces passionnés manifestent leur impatience. Ils s’indignent qu’un nom si ancien tarde tant à tomber en désuétude. Ils désespèrent, alors qu’ils espèrent toujours.
Le manifeste Hodie Judaei devrait les rassurer, car il va régner. Au prix d’une métamorphose. De texte rigoureux et difficile, il deviendra comme un aérosol d’opinion. Longtemps loué par des gens qui ne l’avaient pas compris, Spinoza sera bientôt parfaitement compris par des gens qui ne l’auront pas lu. Enivrés aux effluves de la persécution parfaite, les spinozistes se presseront en foule, dans les allées du parc populeux et douillet. Sauf qu’ils ne sauront pas qu’ils sont spinozistes. »