Lundi 21 janvier 11h30. Louisa Maaref, chargée des sports de la section de Dijon, et moi-même nous rendons à Chevigny Saint-Sauveur, bourgade de l’agglomération dijonnaise, haut lieu du karaté en Bourgogne. Louisa sait tout ce qui se passe dans le domaine du football, mais pas seulement : c’est elle qui a introduit la Licra auprès des karatékas, et en novembre 2012 nous avons signé une convention de partenariat semblable à celle qui nous lie au club de football, le DFCO.
Nous sommes accueillis par Raymond Ravassaud, président de la Ligue de Bourgogne de Karaté, et Franck Picard, président du Comité départemental de Côte d’Or : Raymond, tout en rondeur, intarissable, respirant la jovialité et la bonté ; Franck, grand, mince, souriant, la parole précise, la gentillesse personnifiée – mais tous les deux quatrième dan. Ils nous font un portrait circonstancié du karaté, chacun ajoutant à la parole de l’autre. Le contexte matériel d’abord : l’énorme bâtiment qui nous accueille a été inauguré en 2007, et peut abriter 1300 spectateurs, il est sans équivalent en France. A la disposition des 5000 licenciés bourguignons (2200 dans le département) rassemblés en une centaine de clubs, il fonctionne pour ainsi dire en non stop, ouvert à de multiples activités, sportives, sociales et culturelles, remplissant ainsi pleinement la mission de service public qui est celle de la Fédération. Nous évoquons cette mission, et puis (la transition vient d’elle-même) nous passons à ce qu’est, dans sa spécificité, le karaté. Nos interlocuteurs se font lyriques, remontant jusqu’à la Chine médiévale. Pourtant, par-delà ce folklore oriental, la vérité du karaté n’est-elle pas aujourd’hui seulement celle de la compétition, avec ses bons et ses mauvais côtés. Mais Raymond et Franck n’en démordent pas : c’est plus compliqué, il y a un esprit spécifique du karaté. Le pratiquant n’a pas en face de lui un adversaire mais un partenaire, le karaté do, la voie du karaté veut dire que le combat est d’abord contre soi-même, contre le destin, et que celui qu’on rencontre sur le dojo est l’indispensable interlocuteur pour aider à affronter l’inéluctable. Si l’on comprend ça, enchaîne Raymond, on comprend aussi que le karaté est bien davantage qu’un sport de combat, il ne s’agit pas même d’y libérer son agressivité (est-ce qu’on fait jamais cela, d’ailleurs ?) mais de trouver au fond de soi, au-delà de soi, un registre sans limite d’affirmation. Or, demandent-ils tous les deux, n’en va-t-il pas ainsi de la lutte contre le racisme, découvrir en l’autre celui qui va nous aider à surmonter les pulsions négatives ?
Nous abordons alors – mais la voie est désormais toute tracée, c’est celle du karaté – la dernière partie de notre entretien, celle du militantisme : comment concrétiser notre convention, affirmer entre la Licra et le karaté bourguignon ce qui est donc, au fond, la leçon du karaté bien compris, réaliser notre partenariat. L’idée féconde espérons-nous, à l’appui de laquelle je mentionne encore une conversation récente avec Madame Faucheux, Recteure de Dijon, est d’aller dans les quartiers, dans quelques écoles, et de porter à propos du racisme et de l’antisémitisme la leçon du karaté : de faire valoir, prononcé par ceux qui pratiquent le karaté, que l’autre est celui qui me secourt. Que, moi combattant je combats en moi ce qui m’empêche d’être moi ; que lui est celui qui pour ce combat m’est indispensable. Qu’il est moi-même, moi-même comme un autre.
Petites colonnes Le karaté remonte au Moyen Age en Chine. Puis l’étape décisive est sur l’île d’Okinawa dont la population paysanne cherche à résister à l’invasion japonaise. Gichin Funakochi codifie les règles du karaté shotokan, mains nues, qui va ensuite s’introduire au Japon.