On trouve dans le journal Le Monde daté du mardi 15 février une page centrale avec un titre énorme « Juif », le qualificatif le plus fréquent apposé sur l’internet français aux noms-symboles du pouvoir : Sarkozy, évidemment, mais aussi Borloo, Hollande, Copé, Mélanchon, voire Rachida Dati et Marie-George Buffet, mais encore un défilé de journalistes… Tous « juifs », liste insensée pour cette expression forcenée du ressentiment (mais n’ai-je pas moi-même découvert au détour d’une conversation, à l’occasion de l’organisation locale d’un testing, que pour une certaine couche de la population dijonnaise, François Rebsamen, c’était une évidence, « en était »).
Un détail (si j’ose ainsi m’exprimer) dans l’actualité donne à cette information inquiétante un relief saisissant. Christian Jacob, président du groupe UMP à l’assemblée nationale, déclare ce week-end que Dominique Strauss-Kahn ne saurait représenter la « France des terroirs », « la France qu’on aime ». Qu’a-t-il voulu dire ? A lui seul, rendons-lui cette justice, d’en décider. Mais qu’a-t-il dit ? Comment ne pas faire (il n’est, là encore, qu’à se promener quelques instants sur internet : tombereau d’ordures, la « communauté sioniste » prise à parti, Jacob lui-même – rien n’est donc, dans ce registre, maîtrisable – qualifié de « compatriote ethnique » de Strauss-Kahn…) la part de ce que chacun a perçu, l’implicite, l’innommé ouvrant, toutes grandes, les écluses de l’innommable : ainsi en va-t-il des contrepèteries qui offrent licence de prononcer en toute innocence une obscénité. Mais en l’occurrence la transgression n’est pas sexuelle et n’a rien à voir avec le pipi-caca de notre enfance. Elle rejoint l’histoire française dans ce qu’elle recèle de moins regardable, ce tréfonds dégradant où se mêlent les voix de Barrès – qui déduisait « la culpabilité de Dreyfus de sa race » – de Maurras – énonçant que « jamais un Juif ne saurait comprendre un vers de Racine » – de Pétain – qui s’était référé (comme Christian Jacob donc) à « la terre » », « qui ne ment pas » (alors que les Juifs, au contraire…, loin de cette France des terroirs…, de la vérité terrienne de la France que nous aimons…).
J’en appelle, appelons-en, avec la Licra, aux politiques, à tous ceux qui exercent à un titre ou à un autre le magistère de la parole, pour qu’ils aient la responsabilité et le courage : le courage de désigner cet innommable, la responsabilité, l’ayant nommé, de le chasser avec résolution du débat national.