« J’y suis, j’y reste ! » ; « C’est vous le nègre ? C’est bien, continuez. »
Ces idioties prêtées à Mac Mahon, et qui faisaient les beaux jours des gaietés de l’escadron sous la troisième République, recèlent peut-être une vérité plus profonde, qu’Aimé Césaire avait su mettre en évidence : « Nègre je suis, nègre je reste ! » disait-il.
Autrement dit la négritude, c’est l’homme. C’est l’homme noir, revendiquant, sous la troisième République colonisatrice, sous la quatrième, coloniale et décolonisant avec peine, sous la cinquième, décolonisatrice à la manière du gaullisme, la liberté, l’égalité et la fraternité.
Mais est-elle seulement pour l’homme noir ? On se demande ainsi, en écho à cette question : Césaire fut-il indépendantiste ?
Il était un produit de la République, avec toutes ses équivoques, et, parce que la République elle-même fut équivoque, Césaire a oscillé entre son attachement à la France républicaine et la revendication indépendantiste. Mais il me paraît évident que, par-delà l’hésitation, la conviction de cet homme formé à la culture française et universelle était bien plus profonde : la négritude, ce n’est pas simplement l’invitation faite aux Noirs à se replier sur une identité communautaire, c’est bien davantage la suggestion, extraordinairement révolutionnaire, que l’universalité doit être modulée, qu’elle n’est pas incolore, c’est-à-dire, si l’on scrute un peu ce qu’il y a au fond de cette neutralisation des couleurs, que nous qualifions d’universelle, blanche. Négritude, cela veut dire que le noir n’est pas le blanc assorti d’un coefficient négatif et péjoratif, misérabiliste au mieux (tous les préjugés qui traînent, depuis le XVIème siècle sur l’Afrique, le « continent noir » !) mais une couleur singulière, à quoi chacun, blanc ou noir, est adossé.
Il y a quelques jours la Licra accueillait et entendait, avec beaucoup de Dijonnais, à l’Ecole supérieure de commerce, la parole de Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN). Chacun fut frappé par la chaleur et l’émotion émanant de cette parole « noire ». C’était la même invitation à l’universel, et néanmoins la même modulation « en couleur » de l’universel – modulation que je voudrais interpréter de la façon suivante : l’universel n’est pas une abstraction, mais la sollicitation de chacun en-deçà des abstractions, à la singularité qu’il est, au particularisme de son plus intime, à la couleur.
Cette sollicitation de l’intime à l’intérieur du discours républicain, Césaire l’a nommée, avec Senghor, négritude. J’en appellerai ici à Goethe, le plus universel des auteurs de l’Occident, pour prendre une décision sur le sens de ce mot.
Dans son œuvre la plus achevée, le second Faust, Goethe écrit ceci : am farbigen Abglanz haben wir das Leben, « c’est dans son reflet coloré que nous avons la vie. » Voilà donc la négritude, le sens de la couleur pour chaque identité se revendiquant de l’universel, la référence à l’intime de la couleur. En un mot, pour Senghor, pour Césaire, mais pour beaucoup d’autres, et pour chacun, la poésie.
Alain David