La question de la mesure des discriminations et des statistiques ethniques

La livraison de mai de la revue Esprit consacre un débat à la question de la mesure des discriminations et des statistiques ethniques. Ce débat consiste en un article conséquent (vingt pages) de Yazid Sabeg, suivi d’une discussion critique de sept intervenants appartenant au monde politique (UMP et PS), syndical (CFDT), entrepreneurial (Société générale) ou scientifique (CNRS, université).

En allant très vite je dirai que les critiques sont diverses, et en quelque façon pas toujours cohérentes entre elles : entre ceux qui prétendent que si les discriminations existent, les outils pour les combattre existent également et qu’il est inutile et dangereux de procéder à la démarche de Sabeg, et ceux qui saluent l’intention de cette démarche sans souscrire toutefois à la catégorisation à laquelle elle procède ; ceux qui constatent la nécessité d’introduire de nouveaux outils et du volontarisme, et ceux qui reprochent à Sabeg d’ethniciser le débat en occultant le social.

Ces postures plutôt divergentes ne signifient pas, a contrario, l’approbation de la position de Sabeg, que je ne vais pas essayer de discuter à mon tour. Néanmoins elles invitent à la prudence dans les jugements, à ne pas considérer que le débat est clos, se réduisant au rappel de quelques principes républicains, et à une protestation expéditive contre le communautarisme.

Les quelques discussions amorcées à la Licra montrent à l’évidence que la question est plus complexe, qu’il faut savoir faire droit à la complexité, avoir le courage parfois de reconnaître que nous ne sommes pas sûrs. Et puisque, ici, selon moi il ne s’agit pas d’adopter une position partisane, je voudrais souligner, en signalant ce numéro d’Esprit, plutôt que de résumer les articles, quelques données du débat :

                     1) quel que soit le bien fondé ou l’irrecevabilité des positions de Sabeg, le débat est celui qui surgit de la défaillance actuelle de tous les référents identitaires : la nation, la Révolution, la République, l’Europe… sont devenus des mots incantatoires, rendus caducs, et balayés, par la mondialisation ; ou pire devenus eux-mêmes des indices de la mondialisation, recyclables et utilisables (sans se vendre très bien) dans le grand marchandising planétaire (à moins qu’ils n’aient seulement vocation à être réinjectés dans le commerce local).

                   2) Dans cette carence identitaire les crispations sacralisantes s’accentuent. Le fameux conflit des civilisations de Huttington n’est lui-même qu’une variante de ces crispations, les revendications les plus anti-occidentales (terrorisme compris) marchant au rythme même de l’Occident abhorré.

              3) Dans ce champ en friches de l’identité, la revendication de justice demeure, et la question de l’affirmative action se pose. En fait elle est déjà tranchée en France et en Europe depuis quelques années, la parité représentant un moment important, et désormais admis par tous.

                   4) On peut interpréter (comme la langue pour Esope) les statistiques ethniques, de la pire ou de la meilleure façon : soit en pensant qu’elles correspondent à un retour du communautarisme ; soit en considérant qu’elles représentent une avancée non vers l’égalité mais vers l’équité, au sens du philosophe américain Rawls (fairness), ce qui est peut-être le nom, pour les sociétés modernes, c’est-à-dire les sociétés de la mondialisation, de la justice.

Je me résume : quoi que ses membres veuillent penser des propositions de Sabeg, la Licra ne peut plus se crisper sur des principes rigides, usés et ne tenant aucun compte des impératifs qu’impose ce qui est véritablement une crise de civilisation. De grâce, prenons ici la voie de la réflexion, cette voie seule décidera de notre crédibilité à venir.

Sur le numéro de mai 2009 de la revue Esprit –                                                              Articles sur la mesure des discriminations

Alain David

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