François Delpla, Hitler
Propos intimes et politiques (t. 1, Nouveau monde, 2016)
François Delpla est un spécialiste de Hitler, il publie ici les notes sur des entretiens, ou plutôt des monologues de Hitler au moment de l’opération Barbarossa (l’entrée en URSS).
Un document intéressant au moment de la republication de Mein Kampf (l’édition critique monumentale publiée en Allemagne et sortie en janvier est d’ores et déjà épuisée).
A voir aussi le numéro de février du magazine Historia qui contient un dossier sur ce livre avec un article de François Delpla.
Adonis
Violence et islam. Entretien avec Houria Abdelouahed (Seuil 2015)
Adonis est un poète arabe, né en Syrie, et un intellectuel de haute volée. Il dialogue ici avec Houria Abdelouahed, qui est une psychanalyste enseignant avec Fethi Benslama à Paris Diderot. Un livre constamment intéressant et riche, soulignant notamment la difficulté pour l’islam de se confronter à la pensée universelle, c’est-à-dire notamment à la grande philosophie occidentale.
Je retiens notamment ce qui est dit sur la langue. Je recopie ce passage (p. 40) : «Il n’y a [dans l’islam] ni la pensée de la mort ni aucune autre problématique. Quant à la langue du Coran, elle est belle, mais elle est rhétorique et impersonnelle.
En revanche, la langue des poètes est intrinsèquement liée à l’expérience humaine. Elle est plus vivante, imaginaire et personnelle. Les poètes arabes considéraient la langue coranique d’un point de vue esthétique comme faisant partie d’un monde langagier qui existait avant même l’avènement de l’islam (…).C’est pour cette raison que l’on conseille de traduire les significations du Coran plutôt que sa langue.
Certains critiques littéraires, parlant de l’inimitabilité du Coran, visent les significations et non la langue. De ce point de vue on peut trouver des textes poétiques ou en prose dotés d’une beauté aussi grande que celle du texte coranique, en particulier les sourates de Médine. Néanmoins aucun poète ou écrivain arabe n’a essayé d’imiter la langue coranique. »
Guillaume Payen
Martin Heidegger, catholicisme, révolution, nazisme (Perrin 2016)
Un livre précieux, en ce qu’écrit par un jeune historien et philosophe, il dresse un état des lieux informé et accessible au non philosophe, de la polémique autour de celui qui est, qu’on le veuille ou non, l’un des penseurs les plus importants de notre temps. Que ce penseur (sans lequel il n’y aurait ni Sartre, ni Merleau-Ponty, ni Levinas, ni Michel Henry, ni Jacques Derrida, ni Jean-Luc Marion, ni Maurice Blanchot, ni Jean-Luc Nancy, ni Jacques Lacan, ni Hannah Arendt…) ait consenti au nazisme alarme et doit conduire à se demander si, en dépit de la victoire sur le nazisme et sa caractéristique la plus effroyable, l’antisémitisme, nous sommes quittes, dans nos habitudes les mieux installées, ou les plus inoffensives en apparence, avec cet abîme qui s’est ouvert au cœur de la civilisation occidentale. Le livre de Payen, dans la mesure où il se veut descriptif, aide à poser cette question.
Jean Birnbaum
Un silence religieux. La gauche face au djihadisme (Seuil 2016)
Le livre se veut une explication avec la gauche française et certaines de ses insuffisances. Mais la thèse est plus générale, et à mon sens plus intéressante – et plus intéressante en particulier pour la Licra, pour ouvrir une perspective à notre militantisme : elle pointe le défaut de spiritualité, c’est-à-dire fait apparaître la place vide laissée par les doctrines politiques, et également, et surtout, par les religions instituées (je pense au mot de Clémenceau : « La guerre est une chose trop sérieuse pour être abandonnée aux militaires ». De même la spiritualité est une chose trop importante pour être abandonnée aux religions).
Pour l’instant, la place laissée vacante est occupée par des produits de substitution mortifères, notamment par l’islamisme qui remplace la spiritualité que signifie le rapport à l’autre par la sacralisation d’un ordre mythique et violent. En contrepartie on a, en lieu et place de la complexité du livre, le simplisme des tweets et de google. Le fanatisme, celui de tous les extrêmes, n’a plus qu’à se baisser et se servir.
Abdenour Bidar
Self islam (Seuil, Points essais, 2016)
Ce livre est en fait une réédition d’une parution de 2006, publiée ici avec une postface. Cette réédition me semble bienvenue, elle fait la part du temps et des événements, et au-delà du récit d’un itinéraire personnel, peu banal (choix de l’islam, confrontation de ce choix à la philosophie, passage par le soufisme, abandon de la vie communautaire…) elle confronte cet itinéraire à l’événement, l’islamisme, le terrorisme, l’appel à la laïcité, et (c’est ce qui m’a le plus retenu) comme chez Jean Birnbaum la requête d’une spiritualité, que les religions instituées sont hors d’état aujourd’hui d’assumer.
Je recopie une phrase de la postface : « Les universités formeront toujours des spécialistes qui vulgariseront et diffuseront le savoir. Cependant ce qui se cherche et se joue actuellement exige beaucoup plus : une approche plus ouverte que celle qu’offrent les religions (…) les nouveaux aventuriers de la spiritualité veulent d’une part accéder à une spiritualité vécue et non pas simplement recevoir une culture générale sur l’histoire et l’interprétation des religions, et d’autre part faire déborder le spirituel hors des religions.»