« Plus intime que l’intimité, c’est un livre » n°5

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Hervé Le Bras
Le pari du FN (Edition Autrement 2015)

        Un livre écrit par un démographe, qui statistiques et cartes électorales à l’appui montre les raisons (quelques-unes des raisons au moins) du succès électoral du Front national.

Il faut dissiper ici tout de suite l’ambiguïté du titre, éclairer le sens double de son génitif : « Le pari du FN » n’est pas (ou est moins) le pari que feraient le FN, ses dirigeants, que celui de l’électorat, qui, dans la nouvelle configuration démographique, sociologique, qui est celle de la France, avec  la disparition des relations de voisinage, la relégation des classes moyennes hors des métropoles, le blocage de l’ascenseur social, fait le pari de voter Front national : « pari désespéré, pari perdant en probabilité, mais pari logique… et contagieux »

Esprit n°421, de janvier 2016

          Ce numéro inaugure une nouvelle formule de la revue, Marc-Olivier Padis ayant quitté la direction pour faire place à Antoine Garapon et Jean-Louis Schlegel.

Dans ce numéro, un dossier intéressant sur la question Mein Kampf (avec notamment un texte du professeur Andreas Wirsching, le directeur de l’Institut für Zeitgeschichte, l’institut d’histoire du temps présent, de Munich, qui a entrepris et mené à bien la monumentale édition savante qui vient de sortir : Wirsching souligne parmi les différentes raisons qui ont justifié l’entreprise de publication, la nécessité de contourner les mensonges de Hitler, sur sa biographie en particulier, démytifier le personnage, faire apparaître le contexte qui l’a porté.)

Et également, un dossier intitulé « violences sans fin » (expression en contrepoint au « infinite justice » de Bush), avec notamment un article très suggestif sur Ibn Khaldûn, penseur musulman du XIV siècle, méditant Aristote, et qui théorise l’effondrement des sociétés arrivées à leur apogée et hors d’état de faire face aux violences extrêmes – l’un des exemples pris est celui de Mossoul le 10 juin 2014, « une ville de 1300000 habitants, avec 86000 hommes armés jusqu’aux dents et un demi milliard de dollars en liquide dans ses coffres est tombée alors sans coup férir, en quelques minutes aux mains de 2000 djihadistes. »

Des contributions à ce dossier également d’Antoine Garapon (« la violence mondialisée »), Olivier Mongin (« une période de grande turbulence ») Carole Desbarats (« montrer la violence des femmes ») et Michaël Foessel (« la violence sans fin »)

Paul Veyne
Sexe et pouvoir à Rome (entretiens avec la revue L’Histoire, édition Tallandier, collection Texto, 2016)

         Paul Veyne est spécialiste de la Rome antique, ami et disciple de Michel Foucault, et professeur honoraire au Collège de France.

Ce livre qui nous éloigne en apparence des préoccupations contemporaines n’en est pourtant pas éloigné. Il met, par contraste avec la vie romaine, en évidence ce qui constitue la chappe de sacralité à quoi ne se soustraient pas nos sociétés : celui de la religion, constituée par le rapport à la mort.

Entre Epicure et les Stoïciens la vie romaine est libérée de l’intervention sinon des dieux, du moins de Dieu, ce qui donne une dimension tout autre à une vie qui n’est confrontée qu’à la sanction de l’opinion, à une société qui est aussi traversée par une grande violence.

Le pouvoir étant sans limite et pas borné par la peur de la mort, pouvoir illustré lui-même par la conception de la sexualité où la différence sexuelle se ramène au modèle de la pénétration – pénétrer/être pénétré, l’esclave étant finalement la figure absolue de celui qui est pénétré :

« En ce monde on ne classait pas les conduites d’après le sexe, amour des femmes ou des garçons, mais en activité ou passivité : être actif c’est être un mâle, quel que soit le sexe du partenaire dit passif. Prendre du plaisir virilement ou en donner, tout est là. La femme est passive par définition, à moins d’être un monstre. Les enfants ne comptent pas davantage, à la condition que l’adulte ne se mette pas à leur service pour leur donner du plaisir et qu’il se borne à en prendre. Un mépris colossal en revanche accablait l’adulte mâle et libre qui était homophile passif, ou, comme on disait impudicus (…) L’impudicité est une infamie chez un homme libre, écrit Sénèque le Père, chez un esclave, c’est son devoir le plus absolu envers son maître ; chez l’affranchi cela demeure un devoir de complaisance. » (p. 206).

Benjamin Stora, avec Alexis Jenni
Les mémoires dangereuses (suivi d’une nouvelle édition de Transfert d’une mémoire) (Albin Michel, 2016)

         Benjamin Stora, auteur d’une œuvre considérable, est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de l’Algérie contemporaine, et préside le conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration.

         Alexis Jenni est prix Goncourt 2011 avec un très fort roman L’art français de la guerre. Le livre représente quelque chose d’insolite en France, un dialogue entre un écrivain et un historien, l’écrivain interrogeant et réagissant au savoir historien, mais aussi sollicitant la sensibilité de l’homme engagé dans une histoire qu’il passe sa vie à étudier, qu’est Benjamin Stora.

Cette séquence est exemplaire pour notre commission, représentant très exactement la sensibilité que nous cherchons à illustrer, d’une histoire ne se réduisant pas à des informations et des savoirs, mais faisant apparaître comme le fait également l’écrivain, ce qui a disparu, parce qu’appartenant au passé, mais également ce qui a disparu parce que toujours déjà se retirant du présent.

L’historien faisant couple avec l’écrivain, est ainsi l’historien de l’Immémorial, procédant, si on peut ainsi s’exprimer en des termes trop pédants, à une « phénoménologie de l’inapparent ».

Au prix de cette démarche exceptionnelle apparaissent aussi des traces, quelque chose qui est peut-être resté méconnu ces temps derniers, et qui ici désigné permet de mieux entendre « ce qui  nous arrive », ce qui arrive à une France aux prises avec un terrorisme inédit, mais par là même aux prises, encore et toujours, et à nouveau, avec son histoire.

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