« Plus intime que l’intimité, c’est un livre » n°7

photofunky

François Durpaire/ Farid Boudjellal
La présidente (Les Arènes 2015)

          Cette bande dessinée surprend et inquiète à plus d’un titre.

Elle surprend par son auteur François Durpaire, historien ( co-auteur également de cet autre livre dont je rends compte plus haut Fatima moins bien notée que Marianne).

Elle surprend par le parti-pris du dessinateur Farid Boudjellal, de procéder au crayon électronique, rendant aux personnages ressemblance et expression. Autrement dit s’appliquant à ne pas déformer ni caricaturer.

Et le récit, celui de l’accès de Marine Le Pen à la présidence en 2017, prolonge de pointillés les données de l’actualité, tout ce qu’on peut savoir actuellement sur la situation du Front national, citant les passages du programme pour justifier les extrapolations.

Mais justement ne s’agit-il pas d’extrapolations ?

Le pire est-il toujours certain ?

Interrogé François Durpaire fait valoir qu’il avait dès 2007 prévu l’accès d’Obama à la présidence, en analysant les données qu’on avait alors entre les mains, en essayant seulement de ne pas reculer devant les conclusions qu’imposait la froide analyse.

D’où alors la conclusion : je suis certain que Marine Le Pen remportera l’élection de 2017. C’est-à-dire – corrigeons – j’en suis certain si on ne fait rien et si tout demeure en l’état : en fait depuis la parution de la BD, il y a eu les attentats du 13 novembre, qui ne sont pas faits pour donner de l’espoir.

Alors la prédiction de Durpaire se réalisera-t-elle ?

Sa BD, par son réalisme provoquant, fait courir un léger frisson, inspirant ce qu’Aristote réclamait du spectacle de la tragédie, la terreur et la pitié. Terreur devant la catastrophe annoncée, et dont rien ne nous est épargné, pitié pour nous-mêmes, pour toutes les victimes du séisme à venir, pitié également pour Marine, qui confrontée au désastre ne peut que murmurer, dans un encadré surmontant la porte de l’Elysée : « je ne sais pas ». Nous voici, voici la France, dans de beaux draps.

L’Histoire n° 420, de février 2016

         Un dossier intéressant sur la publication de Mein Kampf, avec notamment un article d’un des jeunes historiens qui s’est intéressé au projet (je ne sais pas s’il participe à l’entreprise éditoriale de Fayard), Christian Ingrao.

Egalement dans ce numéro des comptes-rendus de plusieurs livres qui intéressent notre commission : Gitega, capitale du Burundi, de Jean-Pierre Chrétien (Karthala 2015) ; Martin Buber, sentinelle de l’humanité, de Dominique Bourel (Albin Michel) ; Léon Blum, un portrait de Pierre Birnbaum (Seuil, 2016) ; Lucien Rebatet. Le fascisme comme contre-culture de Robert Belot (Presses universitaires de Rennes, 2015), Le dossier Rebatet édition établie par Bénédicte Vergez-Chaignon, préface de Pascal Ory (Bouquins, Robert Laffont 2015)

Enfin l’Histoire signale et rend compte d’ un dossier sur l’antisémitisme contemporain dans la revue L’histoire moderne et contemporaine.

Pierre Birnbaum
Léon Blum. Un portrait. (Seuil 2016)

         Après Un nouveau moment antisémite,un nouveau livre de Pierre Birnbaum, dans la trajectoire de l’ensemble de son œuvre qui ne cesse d’interroger la place des Juifs dans la République.

Cette place est pense-t-il constitutive de l’idée même de République, et le portrait passionnant qu’il dresse de Blum le confirme. En ce sens, une déclaration suggestive de Blum, en péroraison de sa défense devant ses juges le 20 février 1942 (p. 195) :

« Messieurs, j’ai achevé. Vous pourrez naturellement nous condamner. Je crois que, même par votre arrêt, vous ne pourrez pas effacer notre œuvre. Je crois que vous ne pourrez pas – le mot paraîtra orgueilleux – nous chasser de l’histoire de ce pays ( …) Nous ne sommes pas, je le sais, quelque excroissance monstrueuse dans l’histoire de ce pays, parce que nous avons été un gouvernement populaire ; nous sommes dans la tradition de ce pays depuis la Révolution française. Nous n’avons pas interrompu la chaîne, nous ne l’avons pas brisée, nous ‘avons renouée et nous l’avons resserrée. »

          Une conviction, donc, extrêmement forte, un engagement de tous les instants pour la République, alors même que Blum, pur produit de la méritocratie, normalien, fin lettré, correspondant de Proust, affronte sa vie durant un antisémitisme violent (dont il serait instructif pour notre temps d’étudier la nature et les modes d’expression) – un antisémitisme porté par les classes populaires comme par les élites. Quant à parler de notre temps, il n’est pas sans intérêt de constater que c’est le nom de Jaurès qui est sans arrêt mis en avant et récupéré par la mémoire de gauche (voire parfois par celle de droite), le nom de Blum restant singulièrement dans l’ombre, et étant l’objet d’étranges pudeurs. A cet égard le livre de Birnbaum est absolument bienvenu.


Esprit, n°422, février 2016

         Beaucoup d’articles sur des questions qui constituent aussi l’actualité de la Licra : sur l’islam et sa place dans la société française, sur la religion (le livre de Jean Birnbaum suscite beaucoup d’intérêt et motive ce dossier d’Esprit), sur les réfugiés.

Des articles, qu’il faudrait prendre un à un et discuter pour eux-mêmes, de Jean-Louis Schlegel, Olivier Roy, Camille Riquier, Olivier Mongin, Francis Guibal etc.

Sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer
Les faux-semblants du Front national (Science po, les Presses 2015)

Ce gros livre écrit par des spécialistes rompus au décryptage des résultats électoraux, à l’analyse des statistiques, des données démographiques, sociologiques et économiques en tout genre, souffre d’avoir été écrit avant les élections régionales.

Dès lors, il donne un étrange sentiment de vraisemblance à un jugement d’Hannah Arendt, qui imagine l’historien comme un « prophète tourné vers le passé ». Des formules comme celles qui intitulent deux chapitres écrits conjointement par les responsables de la publication (et qui donnent donc la philosophie de l’ensemble) laissent aujourd’hui perplexe : « Le FN n’est (toujours) pas le premier parti de France », « Le FN n’est pas (encore) aux portes du pouvoir ».

Néanmoins, en dépit des hésitations qu’on peut avoir sur les conclusions d’incontestables experts (mais que vaut aujourd’hui la prétention à l’expertise, c’est peut-être tout le problème, l’aspiration à l’expertise permettant souvent d’évacuer la question de la responsabilité ?) ce livre, ces réserves faites, intéressera quiconque veut pénétrer les arcanes de la vie électorale du Front national, de sa stratégie, de ses « faux-semblants », de ses contradictions.

Et pour terminer, cette question très vraisemblable : « Dédiaboliser tout en maintenant le cap de la radicalité, ouvrir le parti à de nouveaux profils susceptibles de lui donner un nouvel élan tout en ménageant la base historique, affirmer un populisme antisystème tout en favorisant l’ascension de hauts fonctionnaires en interne, la ligne du nouveau FN comporte de nombreuses contradictions. Comme il en a toujours été dans ce parti. » (p. 451)

Riad Sattouf
L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (Allary éditions 2014 pour le premier tome – 1978-1984 – 2015 pour le second – 1984-1985)

        Il s’agit d’une étonnante bande dessinée.

Un étudiant syrien, Abdel-Razak, rencontre en France une jeune bretonne, Clémentine, l’épouse, Riad est le fruit de ce mariage. Le couple s’en va en Libye, où Abdel-Razak est nommé professeur, et Riad grandit donc dans la Libye de Kadhafi avant de rejoindre la Syrie d’ Hafez al Assad. Ici et là, comme le Huron de Voltaire, découvre nanti de ses yeux d’enfants, de sa mère bretonne, de sa chevelure blonde, un univers dont le pittoresque n’a rien d’attirant, fait de bêtise arrogante, de cruauté et de totalitarisme, de machisme, de racisme et d’antisémitisme.

Le premier volume s’est vendu à 200000 exemplaires, le second va sans doute dépasser ce tirage, deux autres volumes sont en préparation.

D’où vient ce succès d’un récit, somme toute familial, demi-autobiographique : du fait qu’il met en scène sans complaisance, un univers sans beauté, totalement médiocre et effrayant ?

Un monde où l’islam se confine dans la superstition haineuse ?

Du fait qu’il dit à tout haut – par la bouche innocente d’un enfant – ce que nous n’osons pas penser tout bas, aux prises que nous sommes avec la réalité de notre mauvaise conscience, et peut-être notre racisme inavoué ?

Un signe enfin pour avérer la dimension cathartique de cette bande dessinée : elle m’a été offerte, dans un geste de sympathie auquel j’ai été infiniment sensible, par le maire de Dijon en personne, François Rebsamen, qui me l’a adressée, tenant à me la faire lire.

Pourquoi ? Pourquoi cette bande dessinée, précisément ?

La question a sûrement plus de généralité que la seule anecdote des relations personnelles du maire avec le militant que je suis.

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