La condition noire – De Pap Ndiaye
Sur l’auteur :
La réédition en poche de ce livre paru en 2008 est l’occasion d’y revenir, et pour ceux qui ne l’ont pas lu de l’acheter et de le lire.
Pap Ndiaye est un jeune chercheur qui enseigne à l’EHESS, après avoir mené une partie de sa carrière aux Etats-Unis : double culture, précieuse pour aborder son objet en s’abritant de réflexes par trop hexagonaux. Par ailleurs sa recherche se prolonge par une action militante, Pap Ndiaye appartenant au comité scientifique du CRAN (Comité représentatif des associations noires).
Sur le livre :
Le livre se divise en 6 chapitres. Le chapitre I développe les implications complexes du titre : que signifie « noir » : pas une race, évidemment, au sens raciste du terme.
Pourtant Pap Ndiaye n’en abandonne pas simplement la notion. Il la complique en lui donnant, à la manière américaine, la dimension d’un paramètre historique et sociologique indispensable à la compréhension de son objet. Je ne puis ici m’étendre, sauf en citant un passage, qui doit nous faire réfléchir : « Par contraste avec les Etats-Unis, la notion de race est encore mal admise dans les sciences sociales françaises. Il est vrai que nous revenons de loin. D’abord parce que le modèle républicain s’est construit sur une figure abstraite de la citoyenneté, théoriquement indifférente aux particularités de sexe, de couleur de peau (…) de telle sorte que la notion de race fait figure d’épouvantail idéologique et politique. Or, cette figure abstraite, bien française, non seulement n’a jamais assuré une lutte effective contre les discriminations raciales – on pourrait même ajouter qu’elle s’en est accommodée – mais ceux qui s’en réclament ont de surcroît délégitimé les efforts de personnes qui se rassemblaient pour dénoncer ces discriminations, en les réduisant au qualificatif de « communautarisme »…
On voit la charge, elle nous vise, pour une part d’entre nous, à la Licra, dans nos réflexes républicains. Est-elle imméritée et faudrait-il alors, d’emblée, ranger Pap Ndiaye parmi nos ennemis ?
Ce serait, on va le voir, un contresens, car ses ennemis sont, sans ambiguïté, les mêmes que les nôtres. Je passe alors sur le contenu des chapitres 2 (les implications culturelles et sociales de la notion de couleur) 3, sur l’histoire des Noirs en France, 4, sur le racisme anti-noir (« le tirailleur et le sauvageon ») 5, sur l’évolution de la question raciale à celle des discriminations.
Je voudrais m’arrêter un instant sur le chapitre 6 : « la cause noire : des formes de solidarité entre Noirs ». Ce chapitre terminal revient en effet sur le chapitre 1 et énonce au fond les objectifs et les enjeux du livre : ce dernier s’est placé résolument dans une compréhension de la société à partir du phénomène des minorités, et a progressé, sans consentir à aucun moment à sacrifier la rigueur scientifique, en direction de perspectives militantes.
La description (cela ne peut nous déplaire) ouvre ainsi à des engagements, à la vertu de solidarité. En même temps au nom de cette même rigueur, et, je me plais ici à le dire, au nom d’un idéal humaniste, démocratique et républicain, Pap Ndiaye met en garde contre les déviances de la solidarité (qui devient alors tout autre chose que la solidarité) : le communautarisme, désigné cette fois, sans états d’âme et sans la moindre concession, comme tel, celui de Raphaël Confiant, celui de Louis Farrakhan, et, last but not least, celui de Dieudonné. Le contresens porte ici un nom, qui nous fait horreur, qui fait également horreur à Pap Ndiaye, qui s’explique avec lui : l’antisémitisme.
La condition noire est un livre original aujourd’hui, et indispensable à la réflexion de la Licra.
Alain David