Rwanda

milles collines

Chers membres et sympathisants de la commission MHDH, chers adhérents et sympathisants de la Licra en Côte d’Or.

Ces éléments que je vous propose, en ma responsabilité de président de la Commission MHDH, pour essayer d’apporter, en ce jour particulier, à notre réflexion militante.

Le Rwanda vote aujourd’hui pour se donner un président. L’issue du vote ne fait aucun doute, Paul Kagamé qui se présente pour la 3ème fois après avoir fait réviser, il y a deux ans, la constitution, sera réélu.

Cette situation met à nouveau en lumière une question que nous qui militons pour la mémoire du génocide, pour l’ouverture des archives françaises, pour que le rôle du pouvoir politique français de 1994 soit précisé sans équivoque, devons nous poser, ne pouvons pas ne pas nous poser : quelle est la situation du Rwanda aujourd’hui, 22 ans après le génocide ?

Il est évident que le Rwanda n’est pas une démocratie au sens occidental du terme, avec une alternance démocratique, avec une opposition organisée jouissant d’une pleine liberté d’expression, même si le Rwanda a aboli la peine de mort en 2007, même si le pays connaît une croissance de 7 à 8% en moyenne depuis 20 ans, même si le rôle des femmes est extrêmement important – 64% de femmes au parlement par exemple – même si la corruption n’existe pratiquement plus. Et disons-le alors sans faux-fuyants : il n’est pas une démocratie, si la démocratie est définie par la liberté d’expression et la possibilité de l’alternance politique.

Mais avant de conclure ainsi que le fait le puissant courant négationniste qui a immédiatement surgi derrière le génocide, que puisque le Rwanda n’étant pas une démocratie, il est par là-même une dictature, et que comme dictature il ne saurait bénéficier de la sympathie due aux victimes d’un génocide, posons-nous peut-être la seule question qui, selon moi, vaille, une question inédite correspondant à une situation absolument inédite :

Qu’est-ce qu’un pays qui renaît à lui-même après un génocide auquel une grande partie de ses habitants ont pris part, physiquement ?

Comment vivre après, génocidaires et victimes mêlés ?

Comment une victime peut-elle cohabiter à côté de son bourreau, le croiser, paisiblement chaque jour ?

La réponse tient symboliquement en un nom : celui de Paul Kagamé.

Kagamé est un homme d’état fort, au sens de Machiavel ou au sens de Hegel, et sans aucun doute une figure autoritaire : mais que se passerait-il, que se serait-il passé sans lui ?

Le Rwanda serait probablement, à nouveau, un état failli, exposé, sous les yeux navrés de la « communauté internationale » au malheur, à la guerre civile, voire à la reprise du génocide.

Il ne s’agit pas, surtout pas, ici de recycler le calamiteux « globalement positif » de Georges Marchais. Ni non plus de relativiser les vertus de la démocratie, qui ne vaudrait pas, comme l’avait formulé Sarkozy à Dakar, pour « l’homme africain ».

Mais de se souvenir – « souvenir et avenir », disait Apollinaire – que le génocide inscrit dans les catégories de la pensée politique contemporaine une situation limite, une menace inédite et absolue – possibilité de l’impossible et impossibilité du possible – par rapport à quoi le prêt-à-porter intellectuel n’est d’aucun secours, par rapport à quoi encore nous avons à imaginer chaque jour une façon d’être courageuse et inventive.

Et en attendant, pour ce qui nous concerne, comme militants de la Licra, à œuvrer pour un travail de mémoire sans concession ni faux-fuyants quant aux responsabilités du génocide.

Alain David
Président de la commission Mémoire, Histoire et Droits de l’Homme de la Licra