1) L’auteur (source Wikipédia) :
Né en 1952, constitutionnaliste et politologue belge, professeur à l’université d’Anvers.
Il s’est spécialisé dans le droit constitutionnel, l’histoire et les politiques de développement de l’Afrique des grands lacs et en particulier du Rwanda.
« De 1976 à 1978, il a répondu à la demande du président Juvénal Habyarimana et participé à l’élaboration de la constitution rwandaise : il est considéré comme le père constitutionnel de la politique des quotas ethniques au Rwanda. Cette politique des quotas était apparentée à une certaine apartheid ethnique » (…). Expert auprès du Tribunal international d’Arusha dont il démissionne en 2005 pour protester contre l’impunité des membres du FPR (…). Dès 1990, il a fortement critiqué les thèses de Jean-Pierre Chrétien, lui reprochant de minimiser l’importance du facteur ethnique et d’appliquer au Rwanda les schémas du Burundi, de refuser également le débat en rangeant les contradicteurs parmi les racistes et sympathisants des extrémistes hutu.
Sur le génocide, Reyntjens a progressivement modifié ses positions, atténuant la responsabilité française et insistant sur la responsabilité du FPR (Kagamé « le plus grand criminel en fonction »), prenant également parti pour les thèses de Pierre Péan. »
Mon commentaire : si on accorde foi à Wikipedia (pas de nom pour le/la responsable de la note), on confie le soin de faire un Que sais-je sur le génocide à quelqu’un qui a contribué à la rédaction d’une constitution qui a conduit au génocide : comme si on avait confié la rédaction d’un Que sais-je sur la politique antisémite de Vichy à quelqu’un qui aurait contribué à écrire le statut des Juifs – mettons Duverger ou Carbonnier, juristes privilégiés aux PUF et commentateurs ayant approuvé les lois de Vichy.
On a en la preuve ici :
http://www.francegenocidetutsi.org/ReyntjensCurriculum2004.pdf
Pour plus d’informations sur le rôle de Reyntjens dans la rédaction du projet de Constitution : http://jacques.morel67.free.fr/ReyntjensExpertAmiGenocidaires.pdf.
2) Les effets d’énonciation
Le Que sais-je abonde en formules impliquant la responsabilité partagée du génocide, la culpabilité – de partielle à principale du FPR et de Kagamé – la réalité du fait ethnique – le mot « race » et encore moins le mot de « racisme » ne sont pratiquement jamais utilisés.
Par exemple, dès la 1ère phrase, on trouve la banalisation du génocide renvoyé à des formules dont la validité est posée comme suspecte et relevant de l’opinion idéologique : « l’extermination des Tutsi rwandais est communément appelée » le dernier génocide du XXème siècle » après lequel a retenti haut et fort le cri » plus jamais ça » . Pourtant les premiers génocides du XXIème siècle sont déjà derrière nous… »
L’auteur dit ainsi deux choses :
1) le rappel des faits
2) ces faits sont à mettre au rang des propositions idéologiques, ce qu’on appelle génocide, qu’on associe à la formule « plus jamais ça » est en vérité une réalité fréquente sinon banale, il y a des massacres aujourd’hui qu’on pourrait tout aussi bien nommer « génocides » mais dont le politiquement correct ne s’occupe pas etc.
Autre exemple, (je m’en tiens aux formules des premières pages, qui donnent le ton) : p. 8 :
« Le génocide n’appartient pas qu’à l’histoire. Il reste un enjeu politique contemporain (…) la politisation demeure grande, les débats restent intenses, la sémantique est parfois violente. Nous espérons que ce livre offre des clés de lecture permettant de dégager des faits communément acceptés qui seraient de nature à fonder une analyse et une interprétation plus sobres de ce drame ».
Cet appel aux faits et à la sobriété se pose et s’oppose à des énoncés, non cités, qui sont implicitement tous ceux qui mettraient de la passion dans l’évocation du génocide. Imagine-t-on cependant un auteur écrivant sur la shoah, plaidant en préambule pour la raison, pour une élimination des passions, contre la « politisation » etc.
L’hypothèse associée au mot « génocide » est précisément celle d’un débordement de toutes les catégories politiques, juridiques, sociales ordinaires. La revendication de Reyntjens n’est donc pas malgré l’apparence, celle de la sagesse scientifique, elle vise à parler du génocide comme s’il prenait place parmi d’autres faits et n’était pas un génocide.
Dernier exemple, p. 9 : « pour qu’il y ait génocide, il faut un groupe, en l’occurrence ethnique, qui soit victime. »
Reyntjens pose donc le préalable de l’ethnicité pour qualifier le génocide, et toute la suite va reposer sur la réalité de cette catégorie d’ethnicité. Là encore qu’aurait-il dit des Juifs ? Qu’il existe la réalité d’un groupe racial, victime de la violence nazie ? Avec comme implicite que la différence raciale est la cause sous-jacente du génocide, comme elle l’est donc pour les Tutsi ?
Certes dans les lignes et pages suivantes Reyntjens convient que Hutu, Tutsi et Twa ne sont pas des ethnies, et néanmoins, il renvoie aux « porte-paroles politiques » pour rendre effectives ces non-réalités, faisant intervenir ensuite les « points de vue » de ces groupes antagonistes. Mais par là-même gommant le fait que les « Tutsi du Rwanda » sont les victimes du génocide, et que les « Hutu du Rwanda » sont les génocidaires. A nouveau remplaçons « Tutsi et Hutu » par « Juifs et Nazis » et on prendra la mesure de ce que Reyntjens fait passer en contrebande par l’énonciation qui double les énoncés.
Il peut ainsi opposer tranquillement
« le point de vue tutsi » (p. 10) qui nie la séparation entre ethnie et qui « est également le point de vue du pouvoir actuel » au « point de vue hutu » (« de façon tout aussi stéréotypée on lit du côté « hutu » que la société rwandaise s’est toujours présentée sous forme de trois ethnies différentes. » (p. 10)
Autrement dit le point de vue tutsi, correspondant à celui du pouvoir actuel, est aussi idéologique que celui des extrémistes hutu, et le Que sais-je va donc rétablir la vérité «sobre » des faits (le point de vue des victimes juives, le point de vue du groupe nazi antagoniste …).
N’ayant pas le temps d’énumérer d’autres effets d’énonciation, je m’en tiens là pour ce paragraphe – mais les exemples que je viens de relever pourront peut-être illustrer la perversité de l’écriture, liée au fait que le mot génocide dans ce qu’il entraîne d’impossibilité, est rendu par hypothèse anodin, on lui substitue ce qui est constamment présenté comme une « guerre entre ethnies », ou une «guerre civile», ce qui permet de suivre deux registres de violences parallèles, celle du pouvoir hutu, celle du FPR (avec chaque fois que l’occasion se présente la thèse implicite/explicite que le FPR est à l’origine réelle de ce qu’on a convenu de nommer génocide)
3) Exemples de propositions fausses et négationnistes
a) Dès la première page, à nouveau, et même dès la quatrième de couverture, le nombre de victimes est ramené à 500000.
Je pense que Reyntjens fait référence aux premières estimations du livre supervisé par Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre, et qui sont contestables.
A voir par exemple l’étude de Richard Johnson The travesty of Human Rights Watch, disponible ici :
https://docs.google.com/file/d/0B1rjz4zva3CFV0RRaV8way1LUXc/edit
Extrait : Another time-honored tactic to minimize a genocide is to minimize the number of victims and perpetrators. In the “Numbers” Section of its 1999 Leave None report, HRW used “preliminary data” to estimate that some 507,000 Tutsi were killed in the genocide. This number was based on HRW’s estimate that there were some 150,000 Tutsi survivors, out of a pre-genocide estimated total of some 657,000 Tutsi inhabitants. The latter figure, which constitutes a supposed ceiling for the number of potential Tutsi victims, is an extrapolation from a 1991 Habyarimana regime census, which claimed that the Tutsi were only 8.4 percent of the population. However, few outside the Habyarimana regime have ever given this census credence. The regime had a strong incentive to set the Tutsi share of the population as low as possible, since this was the benchmark for its quota system restricting Tutsi access to secondary and higher education and government jobs; at the same time, persecuted Tutsi had a strong incentive to try to pass as Hutu. The more commonly used figures for the Tutsi share of the population before the genocide range from 12 to 15 percent, and imply that the ceiling for the number of potential Tutsi victims in 1994 was somewhere between 1.0 and 1.3 million persons. HRW has largely kept to its 1999 estimate to this day, and its “over 500,000” anchor number for the victims’ column is widely used in Western literature and media about Rwanda. Occasionally, HRW uses the 800,000 figure advanced by the UN. It is remarkable that HRW has never reconsidered its use of the 1991 Habyarimana regime census to frame the issue of the number of genocide victims, despite subsequent scholarship demonstrating its unreliability.(46) It is even more remarkable that HRW has never acknowledged the figures put forward by Rwandan authorities in 2002, on the basis of a from-the-bottom-up count by the Ministry for Local Government, which arrived at a total of 1,074,017 persons murdered during the genocide, of whom 934,218 could be identified by name and of whom 94 percent were killed because they were identified as Tutsi.(47) This is almost twice HRW’s “anchor number.”
Le chiffre avancé par l’ONU est de 800000, celui avancé actuellement par la plupart des historiens et chercheurs, comme celui des autorités rwandaises dépasse le million (1, 1 million).
Reyntjens engage p. 77-78, juste avant un paragraphe intitulé « Crimes commis par le FPR » – quelle est la pertinence d’un tel chapitre ou d’un tel cadrage, au moment même où l’on parle des victimes du génocide ? L’intention est évidente, suggérer que le FPR a lui également commis un génocide.
Je n’ai pas qualité pour contester la pertinence des arguments sur les chiffres. Je relèverai seulement que la Mission parlementaire de 1998 mentionne les propos suivants de Reyntjens :
« Il [Reyntjens] a déclaré cependant que l’opération Turquoise avait eu lieu trop tardivement et n’avait donc permis de sauver que 15000 personnes sur les 1100000 victimes du génocide, chiffre malheureusement le plus proche de la réalité ». ( Enquête sur la tragédie rwandaise, Tome 3, volume 1 p. 79)
Reyntjens tente de faire valoir, dans la discussion de la p. 77 que « nous arrivons nous-mêmes à un bilan total de 1150000 morts pour toute l’année 1994, chiffre qui inclut, outre les victimes du génocide, les Hutu tués par le FPR, mais également par d’autres Hutu » etc. : mais la déclaration devant la Mission parlementaire est cependant non équivoque : ce ne sont pas les 1150000 morts « pour toute l’année 1994 » que l’opération Turquoise aurait pu sauver en juin 94, mais seulement les victimes tutsi du génocide.
Par la suite Reyntjens écrit (p. 78) : « La communauté internationale a proposé son appui à ce dénombrement, mais le FPR ne s’est pas montré intéressé, de sorte qu’il n’a pas eu lieu » : autrement dit le FPR lui-même aurait apporté de l’eau au moulin du négationnisme et à l’incertitude sur les chiffres.
b) La description de la révolution de 59-61
– Une première observation est qu’il manque des éléments fondamentaux pour la description : pas question par exemple dans celle-ci du Manifeste des Bahutu qui consacre en 1957, la nécessité de faire état des ethnies, atteste de leur caractère artificiel et construit, utilisé à la fois pour étayer l’idée d’une majorité hutu, et par le pouvoir belge (Mgr Péraudin) pour s’appuyer sur une majorité construite ainsi artificiellement.
Pas non plus trace de l’expression « la Toussaint rwandaise » qui va qualifier les massacres de 1959 rapportés ainsi dans le Que sais-je :
– « Après plusieurs incidents politiques une jacquerie éclate le 1er novembre 1959. De nombreux chefs et sous-chefs tutsi sont attaqués et chassés. On déplore près d’un millier de morts, des milliers d’habitations incendiées et environ dix mille réfugiés. C’est le début du départ pour l’exil de nombreux Tutsi avec les conséquences qu’on ne mesurera que trente ans plus tard ». (p. 19)
Plusieurs auteurs insistent ici sur l’importance de cet épisode où se construit le fait ethnique, c’est-à-dire en l’occurrence le fait racial. Chrétien et Kabanda écrivent par exemple ceci (Rwanda, racisme et génocide) : « ce moment illustre le modèle sorélien de la conscientisation sociale par la violence » et d’insister alors sur la vision racialiste d’un homme qui va jouer dans les événements un rôle central, le belge, venant du Congo et de l’Afrique du sud, Guy Logiest.
Autre élément singulier de la « description » de Reyntjens: l’utilisation du mot «jacquerie» pour caractériser les violences racistes. Une jacquerie qualifie au Moyen-Age la révolte des paysans pauvres contre les seigneurs. Ce n’est absolument pas le modèle qui s’applique ici mais bien plutôt celui de la fureur raciste des pogroms, la populace qui incendie et tue ne se souciant pas de faire la différence entre Tutsi aisés et Tutsi pauvres.
c) Les événements de 1963 : diverses sources (Témoignage chrétien, Radio Vatican, le Figaro, Bertrand Russel … dénoncent un « génocide ». Par exemple, Bertrand Russel « le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il ait été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis en Europe »
Ces événements terribles sont rapportés en ½ page dans le Que sais-je :
« Le second niveau concerne les Tutsi ordinaires qui subissent un terrible sort. Le gouvernement organise dans toutes les préfectures des ‘comités civils d’autodéfense’ (…) Des tueries débutent dans la préfecture de Gikongoro (…) D’autres régions sont moins touchées, et la plus grande partie du pays échappe à la violence… Les attaques menées par les inyenzi cessent en 1967. » (p. 22-23). Autrement dit ce qui est qualifié par la plupart de génocide est ramené à de simples massacres résultant des incursions d’exilés tutsi, « la plus grande partie du pays » échappant à la violence.
d) Les inyenzi : ce mot qui signifie « cancrelat » ou « cafard » est renvoyé par Reyntjens à un surnom que les attaquants du FPR se donnent à eux-mêmes
« c’est-à-dire cancrelats parce qu’ils attaquent généralement de nuit. Les groupes armés tutsi se sont donnés eux-mêmes cette appellation » (p. 21)
A noter que le colonel Logiest écrit dans son livre Mission au Rwanda, page 166 :
« J’aurai l’occasion de revenir plus loin sur le terrorisme exercé par les “Inyenzi” ou “cancrelats. » appelés ainsi parce que ces insectes répugnants, bien connus des coloniaux, se glissent la nuit dans les habitations et s’y multiplient avec une étonnante facilité. Effectivement, les Tutsi émigrés, surtout ceux qui avaient trouvé refuge en Uganda, ouvrirent les hostilités en imitant les cancrelats et en s’introduisant la nuit dans le pays, à bord d’un ou plusieurs véhicules. Leur tactique consistait à tuer ceux qu’ils rencontraient à proximité de leur route, peu importe qui et à se mettre à l’abri au-delà de la frontière, dès le jour venu. Ils en étaient encore à s’imaginer qu’ils pourraient se rendre maîtres de la situation en s’imposant par la peur, comme ils l’avaient toujours fait dans le passé. Ils ne réalisaient pas que leur ordre social était complètement dépassé. »
http://francegenocidetutsi.org/LogiestMaMissionAuRwandaUnBlancDansLaBatailleHutuTutsi.pdf#page=86
Je ne sais pas si cette notation est exacte. Mais l’utilisation récurrente par Reyntjens du mot par la suite relève directement d’une intention affirmée. Nous connaissons trop le processus de déshumanisation dans les phénomènes génocidaires par assimilation des victimes à des vermines pour considérer que la dénomination inyenzi soit simplement un nom de guerre ou un élément de folklore.
Il y a Kafka (« un matin, au sortir d’un rêve agité Grégoire Samsa se réveilla transformé en une véritable vermine »), il y a Darquier de Pellepoix (« A Auschwitz on n’a exterminé que les poux »), il y a, pour revenir au contexte rwandais, le roman autobiographique de Scholastique Mukasonga, Inyenzi ou les cafards.
e) 1973, c’est la République des quotas, qui organise l’exclusion des Tutsi de la vie sociale : pour Reyntjens, cette période est plutôt heureuse : « entre 1973 et 1990, on ne note que peu de violences à connotation ethnique » p. 25.
Il est vrai que lui-même a été l’un des acteurs importants de la rédaction de la constitution de cette République des quotas.
A voir, l’analyse de Jacques Morel déjà citée :
http://jacques.morel67.free.fr/ReyntjensExpertAmiGenocidaires.pdf
f) L’emballement de 1990, avec l’attaque du 1er octobre : « alors que la coexistence entre les deux ethnies est relativement bonne depuis 1973, le réflexe ethnique reprend immédiatement le dessus (…) au cours de cette période plusieurs centaines de Tutsi sont massacrés » (p. 34)
Derrière la « sobriété » de la phrase, prétendant à énoncer les seuls faits, il y a là encore un contexte de pogrom dont Reyntjensne dit pas un mot.
Par exemple dans Chrétien/Kabanda, p. 175 « Les populations civiles sont invitées à collaborer à la traque en « montrant du doigt » les suspects. (…) Dans certains cas on ne dénonce pas on massacre.( …) pour Habyarimana et son entourage les Inkotanyi ne sont autres que les inyenzi, les cafards des années 1960 ».
Et les auteurs reprennent en intertitre l’expression de Poliakov « le bréviaire de la haine ».
g) L’attentat du 6 avril : seules les conclusions de Bruguière sont retenues, leur invalidation par Trévidic étant passée sous silence :
« Le dossier est confié au juge Jean-Louis Bruguière qui en novembre 2006 désigne le FPR comme auteur de l’attentat et décerne des mandats d’arrêt internationaux contre 9 officiels rwandais (…) Bruguière partant à la retraite en 2008, les juges Mrc Trévdic et Nathalie Poux procèdent à de nouvelles enquêtes. Cependant mêe si un faisceau d’indications désigne le FPR comme auteur de l’attentat, rien de décisif ne semble en sortir, et au moment où sont écrites ces lignes, aucune décision – non-lieu ou renvoi devant la cour d’assise de Paris – n’a été prise. » (p. 46)
Cette dernière phrase est littéralement mensongère, les indices accumulés allant à l’encontre des conclusions de Bruguière dont Trévidic a invalidé les conclusions.
Pour plus d’informations sur le sujet, voyez :
http://jacques.morel67.pagesperso-orange.fr/attentat6avril94.html
h) Le génocide : à nouveau, si Reyntjens convient que ce sont les Tutsi qui ont été tués, il nie avec constance la nature raciste des faits. Par exemple « les tueries ciblées au cours de la matinée du 7 avril ne sont pas de nature ethnique mais politique… » (p. 47)
Le fait que des Hutu, comme Agathe Uwilingiyimana, la première ministre, comptent parmi les victimes le 7 avril, ne signifie pas que la réalité ne soient pas racisée, mais qu’un Hutu pouvait être en tutsisé comme un aryen pouvait être enjuivé sous le 3ème Reich.
i) Turquoise : « lorsque commencent les massacres des milliers de Tutsi convergent à Bisesero (…) les doutes demeurent sur la question de savoir si les militaires français n’auraient pas pu en sauver davantage » (p. 76)
Ces doutes n’existent plus aujourd’hui, au moment où le Que sais-je est écrit, Mediapart et France inter par exemple publient le 1er décembre 2015 un document prouvant que le 27 juin le commandement interarmées à Goma avait informé le ministère des menaces pesant sur les Tutsi regroupés sur la colline de Gisovu, confirmant le témoignage de « Diego » (le lieutenant colonel Duval) et celui de plusieurs journalistes dont Saint Exupéry.
Voyez aussi cette enquête de Benoît Collombat :
https://www.franceinter.fr/monde/rwanda-les-documents-qui-accusent-la-france
j) Succédant aux pages faisant état du génocide viennent 5 pages intitulées « Crimes commis par le FPR », comme si les exactions du FPR étaient à part entière un élément du génocide, ou plutôt un génocide inverse : on est à nouveau et directement dans la théorie du double génocide : « alors que les extrémistes hutu procèdent ouvertement au génocide [ce ne sont pas « les extrémistes hutu » mais bel et bien « les hutu »] le FPR pratique lui aussi des massacres à grande échelle mais qui échappent à l’attention des médias et donc du public international » (p. 78).
Dans cette phrase qui débute ce chapitre, beaucoup de points seraient à reprendre :
Déjà, il n’y a hélas pas eu une grande attention des médias au génocide, non plus que du « public international ». Quant aux « massacres à grande échelle » du FPR, Reyntjens ne les documente guère, faisant par exemple état de « centaines voire de milliers de victimes » (p. 79) sans dire où ni comment.
Ou encore « des informations recueillies par des enquêteurs du TPIR montrent même que des civils tutsi auraient collaboré avec des éléments du FPR dans la traque de Hutu. » (p. 80)
On note l’emploi du conditionnel et le manque de précision de ces « informations ». Il serait surprenant que le FPR n’ait pas procédé à des exactions. Mais la rédaction de tout ce développement vise surtout à suggérer que le génocide est des deux côtés.
Les crimes réels ou supposés du FPR n’ont jamais été documentés sérieusement. Les seuls rapports qui existent (Gersony, Mapping) sont soit inexistants, soit plus que contestables du point de vue de la méthode :
https://docs.google.com/file/d/0B1rjz4zva3CFV0RRaV8way1LUXc/edit
http://francegenocidetutsi.org/FranceCoeurGenocideTutsi-IP.pdf
Lire en particulier la section 15.12 – Les crimes du FPR
Lire aussi dans La Nuit rwandaise n° 7 du 7 avril 2013, Les graves fautes du Rapport Mapping de l’ONU sur les violations commises en RD Congo de 1993 à 2003, par Jean Damascène Bizimana.
Ou encore ce site très documenté d’Emmanuel Cattier :
http://cec.rwanda.free.fr/informations/pre-rapport-ONU-RDC.html
Et enfin, cette analyse juridique de Rafaëlle Maison :
http://francegenocidetutsi.org/RafaelleMaisonRdcMappingBDAdec2010.pdf
k) Les responsabilités : Une page entière est consacrée à la responsabilité du FPR (p. 84-85) ; là encore cette dilution des responsabilités (alors que c’est le seul FPR qui a arrêté le génocide) relève de la désinformation.
l) Le traitement judiciaire : Ibuka est accusé d’exercer une parodie de justice avec achat des témoins et menaces sur les témoins à décharge (p. 90). Les gacaca ainsi que le TPIR ne sont que des versions de la « justice des vainqueurs » (p. 90- 102). Je relève cette perle, répétée deux fois, une fois pour les gacaca, une autre pour le TPIR : (p. 93) « les Rwandais communiquent de façon stratégique : ce qui compte ce n’est pas tant la vérité au sens occidental mais l’utilité de ce qui est dit dans un contexte dangereux » et : « la façon dont les Rwandais communiquent a déjà été évoquée à propos des tribunaux gacaca, et des témoins, surtout ceux à charge mentent sous serment » (p. 97). Pierre Péan disait plus crûment que « les Tutsi sont une race menteuse », le sens est néanmoins le même.
Un autre reproche est fait aux gacaca : « environ 900000 personnes ont été condamnées. Ce nombre correspond à plus de 50% des hommes Hutu adultes en 1994, traduisant ainsi la criminalisation collective d’une ethnie » (p. 93)
On voit le sens de l’objection, elle signifie que les vainqueurs exercent une sorte de génocide symbolique, en criminalisant les Hutu non pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils sont : des Hutu.
m) « La grande guerre africaine » : p.104. Le génocide est remis dans un contexte plus vaste, à l’intérieur duquel il apparaît comme un élément, voire pratiquement un point de détail titillant la mauvaise conscience occidentale qui par ailleurs ignore le contexte africain.
On peut faire le parallèle avec Ernst Nolte, l’historien « relativiste » du « Historikerstreit » des années 1980 en Allemagne, qui inscrit l’épisode nazi à l’intérieur de la « guerre européenne » (cf Ernst Nolte der Faschismus in seiner Epoche Munich 1984, et Thomas Nipperdey, Anselm Doering-Manteuffel, Hans-Ulrich Thamer Weltbürgerkrieg der Ideologien. Antworten an Ernst Nolte. Berlin 1993).
n) La conclusion : « il s’agit de ne pas tomber dans l’autre travers, celui de considérer le génocide et les massacres au Rwanda comme une histoire de bons et de méchants. La réalité est qu’il s’agit d’une histoire de méchants des deux côtés politico-militaires opposés, l’un recourant à la violence de masse pour sauvegarder le pouvoir, l’autre pour le conquérir » (p. 115)
Renvoi donc des deux protagonistes africains à leur barbarie réciproque. A mieux lire, la symétrie n’est même qu’apparente, car la causalité diabolique (pour prendre le langage de Poliakov) est du côté de ceux qui déclenchent les hostilités en voulant s’emparer d’un pouvoir qu’ils n’ont pas, les autres n’ayant fait que réagir.
Ma conclusion :
Tout d’abord, il faudrait longuement continuer le travail de décryptage de ce Que sais-je, dont chaque phrase, chaque expression mériterait un commentaire.
Son auteur a une incontestable connaissance de la réalité africaine et de la littérature qui la concerne, ce qui donne souvent à ses allégations l’allure de la vraisemblance.
Le fait néanmoins qu’il ait été impliqué dans les événements le conduit à des stratégies qui relèvent à des degrés divers du négationnisme, je me suis efforcé de le montrer : d’une part en transformant, modifiant, arrangeant des données factuelles, ou en laissant planer l’incertitude sur des données pourtant actuellement documentées.
Mais surtout en acceptant la racialisation, à partir d’une référence permanente à l’ethnie traitée comme un « fait politique », et par cet alibi politique comme un fait ontologique, et, à partir de là, en refusant parallèlement de prendre en compte l’élément de racisme pourtant constamment flagrant dans un génocide.
En banalisant en contre-partie le génocide dont la spécificité formelle est reconnue, mais dont la rupture radicale qu’il instaure dans les catégories historiques, politiques, voire anthropologiques, est constamment niée. Cette négation lui permet de mettre en parallèle le génocide et les exactions du FPR (jamais cependant documentées, et affirmées avec d’autant plus d’insistance) pour faire ainsi valoir face au génocide des Tutsi, le génocide inverse perpétré par le FPR – alors que la factualité la plus simple devrait au moins conduire à admettre que le FPR et nulle autre instance politique ou militaire a mis fin au génocide.
Un autre point – à mon sens le plus important pour la Licra – est la question soulevée par ce que représente un Que sais-je. Les élucubrations d’un négationniste de plus n’importent sans doute pas beaucoup. Mais ici cela sort aux PUF, dans la prestigieuse collection Que sais-je, qui passe pour recueillir la vérité sur les thématiques examinées.
Ce n’est pourtant pas la première fois que les PUF se mettent dans une situation équivoque, j’ai mentionné le cas de Duverger et de Carbonnier, vichystes patentés, et ayant eu toutes leurs entrées dans cette maison d’édition.
Cette dernière prend donc une nouvelle fois une très lourde responsabilité en rendant honorables et crédibles des thèses qui sont abominables dans la mesure où elles concernent des faits abominables.
Il est donc à mon sens d’une très grande importance que nous livrions ce combat, y compris sur le terrain judiciaire, quand bien même les juristes pourraient estimer (ce jugement leur revient) que les éléments dont nous disposerions (ce qu’a priori cependant je ne crois pas) ne sont pas décisifs.
Certaines batailles doivent, je le pense avec toute ma fibre militante, être menées, quoi qu’il en soit des chances de les gagner.
Pour en savoir plus sur Reyntjens : cf. l’analyse d’Antoine Mugesera :
http://fr.igihe.com/sports/football/politique/filip-reyntjens-du-chercheur-engage-au-militant
ou celle de Jacques Morel, déjà citée :
http://jacques.morel67.free.fr/ReyntjensExpertAmiGenocidaires.pdf
Alain David &
les précieux commentaires de Aymeric Givord !