« Plus intime que l’intimité, c’est un livre » n°14

 

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Rémi Brague –  Sur la religion Flammarion –  245 p. 19 €

 

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Membre de l’Institut, philosophe, spécialiste de philosophie ancienne et médiévale, impressionnant polyglotte (latin et grec, arabe et hébreu, allemand et anglais, espagnol et italien…), professeur émérite, à la Sorbonne et à l’université Ludwig-Maximilian de Munich, mais aussi penseur du catholicisme, disciple du grand théologien Hans Urs von Balthazar, et appartenant au groupe Communio, ami et proche de Jean-Luc Marion, et grand amateur de BD (notoirement tintinophile ), érudit en chacune de ces multiples rubriques, et de surcroît pince-sans-rire, voilà Rémi Brague.

Ces éléments biographiques disent en eux-mêmes beaucoup de ce livre, indispensable à qui veut s’approcher du phénomène religieux pris dans son histoire et dans notre temps.

9 chapitres, reprenant des conférences prononcées à différentes tribunes ou des articles écrits en plusieurs lieux, en français, en allemand, en anglais ou en italien :

  • « Religion, un mot »,
  • « Y a-t-il autant de dieux que de religions ?»,
  • « La matrice biblique du monothéisme »,
  • « Religion et raison : à propos du discours de Ratisbonne »,
  • « Droit et religion »,
  • « L’Eglise et l’Etat ont-ils jamais été séparés ? »,
  • « Dieu et liberté. Les racines bibliques de l’idée occidentale de liberté »,
  • « Violence et religion »,
  • « Les livres sacrés, violents ? ».

On le comprend de par ces énoncés : des questions qui hantent notre temps, qui l’inquiètent tout du moins, sont mises en perspective dans la double mobilisation d’ une érudition historique et d’une culture philosophique. Et, je le souligne (parce que la question est de celles qui aujourd’hui préoccupent), l’islam fait notamment partie de la mise en discussion du phénomène de la religion, dans sa confrontation toute particulière à la raison philosophique.

Alain David

 

Simone Weil Contre le colonialisme Rivage poche 2018, 110 pages, préface de Valérie Gérard, 6,50 €

 

Simone weil

Il s’agit d’une série d’articles de Simone Weil, écrits entre 1936 et 1943 :

  • « Ces membres palpitants de la patrie »,
  • « Le sang coule en Tunisie »,
  • « Qui est coupable des menées antifrançaises »,
  • « Le Maroc, ou de la prescription en matière de vol »,
  • « Lettre aux Indochinois »,
  • « Les nouvelles données du problème colonial dans l’Empire français »,
  • « A propos de la question coloniale dans ses rapports avec le destin du peuple français. »

Simone Weil s’y montre, avec beaucoup de prescience politique, mais aussi avec une sensibilité éthique qui honore en elle les qualités humaines de la philosophe, inconditionnellement hostile au colonialisme.

Pourtant deux choses me frappent :

  • d’une part l’absence quasi totale de références à l’Afrique noire (une allusion p. 95 : « le travail forcé a été extrêmement meurtrier dans l’Afrique noire française et la méthode des déportations massives y a été pratiquée pour repeupler la boucle du Niger ») alors que l’Afrique du nord (Algérie Tunisie Maroc) et l’Indochine sont au contraire très présentes.
  • D’autre part les mots race, et racisme ne sont jamais prononcés. 

Je risque une interprétation : d’abord Simone Weil se montre héritière d’une tradition philosophique (illustrée notamment par Hegel au début du XIXème siècle) qui maintient l’Afrique noire hors l’histoire et ainsi hors l’humanité (s’en suit entre autres l’anthropologie du XIXème et du début du XXème, marquée par une lecture rapide de Darwin, faisant du Noir un être intermédiaire entre l’animal et l’homme – quasiment l’exemplaire probable ou approché du fameux missing link).

D’autre part le mot « racisme » – qui pourrait intituler  le rapport à cet inférieur évident qu’est à cette époque le Noir, lequel est l’objet principal et spectaculaire d’une violence coloniale abominable – est réservé dans les années 30, et a fortiori avec le nazisme,  essentiellement aux Juifs.

De sorte que Simone Weil, dont le rapport à son propre judaïsme est plus que problématique (il lui arrive d’avoir sur les Juifs – cf par ex les dernières pages de L’enracinement, rédigé pourtant en pleine guerre – des propos comparables à ceux qu’on pouvait trouver dans les textes de la collaboration et qui aujourd’hui lui vaudraient des poursuites ») évite de prononcer un mot qui évoquerait l’antisémitisme, auquel elle ne veut pas avoir affaire (ce dont elle convient par exemple de façon naïve et pathétique après avoir été évincée de son poste de professeur,  dans une lettre sidérante écrite au commissaire aux affaires juives Xavier Vallat). 

Alain David

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