A destination du BE de la Licra et de quelques autres à l’occasion du 25ème anniversaire du génocide subi par les Tutsi.

A destination du BE de la Licra et de quelques autres

Ce qui s’est passé (à mon avis) à l’occasion de ce 25ème anniversaire du génocide subi par les Tutsi

Avant la commémoration :
Beaucoup d’agitation dans les milieux qui gravitent autour de la réception française du génocide. Depuis un peu plus d’un an, une vraie offensive négationniste, marquée par au moins trois événements, la publication du « Que sais-je » de Reyntjens, la thèse Onana à l’université de Lyon 3 (Jean Moulin) la parution du livre de la journaliste canadienne Judi Rever (In the praise of blood).

            Autour de ces brûlots symptomatiques il y a beaucoup de choses, une certaine agitation médiatique, dont la prestation de Reyntjens à la Fondation Jean Jaurès, plusieurs expressions publiques d’Hubert Védrine, d’Alain Juppé, d’anciens militaires également, et la publication cette semaine encore dans Marianne, d’une tribune de Judi Rever, dans laquelle, au milieu de beaucoup d’incroyables et indécents mensonges, elle accuse l’avocat Lev Forster d’assassinat – c’est presque anecdotique comparé au reste, mais c’est ce que j’ai relevé. J’ai téléphoné à Lev Forster, en lui suggérant de réagir, c’est-à-dire de poursuivre, Marianne notamment. Et Marianne se déshonore en publiant cela – mais ce journal, devenu une véritable officine négationniste, n’en est pas à son coup d’essai et publie sur le génocide des Tutsi n’importe quel libelle négationniste.

          Ici un regret et une perplexité : pourquoi la Licra a-t-elle abandonné les poursuites contre Natacha Polony, qui est clairement du côté du négationnisme – « des salauds contre d’autres salauds… » avait-elle dit sur le génocide. Il y aurait donc eu au Rwanda des victimes qui étaient en même temps des bourreaux et des bourreaux qui étaient aussi des victimes. Giraudoux, à la fin d’Electre, l’avait écrit à sa (sublime) manière : « comment cela s’appelle-t-il, femme Narsès, quand tout est gâché comme aujourd’hui, que tout est saccagé, que la ville brûle mais que l’air pourtant se respire, que les innocents s’entre-tuent tandis que les coupables agonisent dans un coin du jour qui se lève ? (…) Cela porte un très beau nom, femme Narsès, cela s’appelle l’aurore. » Mais Giraudoux avait été aussi un homme ambigu quant à la collaboration. Et à sa décharge Natacha Polony ne saurait, pour plusieurs raisons, être confondue avec Giraudoux.

Si on laisse de côté l’agitation négationniste : il y a eu pendant quelques mois l’expression d’un mélange d’espérances et de craintes, espérance que quelque chose allait s’affirmer du côté gouvernemental, avec la réception de Paul Kagamé à l’Elysée en mai 2018 et la nomination de Louise Mushikiwabo. Ou dès 2017, la publication d’un article dans le numéro 39 de la revue XXI en juin , faisant état d’une note signée par Hubert Védrine ordonnant le réarmement des génocidaires.  Ou encore plusieurs livres, dont l’année dernière par ex Une initiation de Stéphane Audoin-Rouzeau,(comment un historien, éminent, spécialiste de la grande guerre et de la souffrance « prend connaissance » du génocide, l’intègre et en fait la matière désormais obsédante de sa recherche) ; et encore la publication du livre- témoignage de Guillaume Ancel, Rwanda la fin du silence. Livre, préfacé par Stéphane Audoin-Rouzeau, à partir duquel plus rien ne sera comme avant. Enfin le fait nouveau qu’en quelques années trois présumés génocidaires, en des procès où la Licra, parmi les parties civiles, s’est illustrée, ont été condamnés, concrétise un changement, un début de changement, dans le droit français, et au-delà du monde du droit, dans la réception française du génocide.

Depuis début mars les événements se précipitent.

          Je mentionnerai plusieurs d’entre eux organisés par le Mémorial de la Shoah, d’autres organisés conjointement par la Mairie de Paris, Ibuka, l’UEJF, SOS racisme (en regrettant au passage que la Licra n’ait pas été associée à la conception et l’organisation de ces événements. Pourquoi ? J’ai bien mon idée…) : ainsi je mentionnerai encore plusieurs colloques et exposition au Mémorial, des colloques à la mairie de Paris, à Sciences po et à l’ENS, à l’EHESS, à l’Unesco.
         Parmi tous, l’événement à huis-clos de la rencontre (elle a été filmée et je l’ai diffusée) à Sciences Po de deux protagonistes, témoins, parties prenantes, du génocides : l’amiral Jacques Lanxade, le lieutenant-colonel Guillaume Ancel, ce dernier d’une sobriété frémissante, assignant le premier, sans s’adresser directement à lui – jurisprudence Vidal-Naquet, on discute le négationnisme, en aucun cas on ne discute avec les négationnistes – à sa responsabilité de « complice du génocide » (l’expression est prononcée et l’accusation formulée).

Et également la journée particulière du 7 avril avec la marche depuis le jardin du Luxembourg jusqu’à la plaque du Parc de Choisy, où des discours (Marcel Kabanda, président de Ibuka, Alain Ngirinshuti, vice-président et rescapé, l’ambassadeur Jacques Kabalé, Anne Hidalgo maire de Paris) furent prononcés en présence du maire du XIIIème, de Pierre Aidenbaum maire du IIIème et président d’honneur de la Licra, de l’ambassadeur du Niger, et de Bruno Lemaire qui représentait le gouvernement. Et les dépôts de gerbes, du Mémorial, des associations arméniennes, de Ibuka, de SOS racisme (avec Dominique Sopo), de la mairie de Paris… et aussi de la Licra.
          Un cortège se rendit pour une autre cérémonie au Père Lachaise, devant la plaque du souvenir, au Jardin de la mémoire (mais dont l’énoncé, regrettable, fait état, au lieu du million de morts admis actuellement, d’un nombre incertain et scandaleusement fantaisiste de « plusieurs centaines de milliers » : il faudra certainement corriger cette plaque apposée en 2014.
          La mémoire évolue, la maire, Anne Hidalgo ayant pris soin cette fois-ci dans son discours d’éviter l’expression « génocide rwandais », précisant « génocide subi par les Tutsi, » et spécifiant « plus d’un million de victimes » – ce qui n’était pas le cas dans les années précédentes.
         

Une soirée, intense, rassemblant au moins 200 personnes, dont beaucoup d’exilés rwandais, se déroula au siège de Médecin du Monde, 62 rue Marcadet : soirée de témoignages, d’échanges, de chants aussi, concentrant toute l’émotion, toute l’humanité qui entoure la réception dans les âmes de l’événement du génocide.
          Je voudrais mentionner encore l’entrelacement des mémoires, l’entrecroisement (et non la confusion) des génocides, présents hier soir chacun dans son indépassable singularité, mais induisant l’extraordinaire miracle de la proximité du « l’un pour l’autre » où s’accomplit la merveille du phénomène humain. Et comment ne pas mentionner le témoignage, à nouveau, intense (si j’osais je dirais d’une intensité mystique) que pendant un bon quart d’heure (mais personne ne regardait plus sa montre) livra, d’une façon presque somnambulique, Guillaume Ancel. 

La déclaration d’Emmanuel Macron.

          Elle comporte deux aspects : celle envoyée au président Kagamé, déclarant
la France « solidaire » du peuple rwandais et exprimant sa compassion pour les victimes. Et instituant le 7 avril comme journée officielle de commémoration en France (disposition à mon sens décisive, donnant au passage satisfaction à une demande émise depuis longtemps et à plusieurs reprises par la Licra).
        D’autre part la création d’une commission dirigée par l’historien Vincent Duclert, commission dont ne font pas partie pour des raisons sur lesquelles on pourrait longuement discuter, les spécialistes du génocide que sont Stéphane Audoin- Rouzeau et Hélène Dumas (sur tout cela cf la déclaration au Monde de Vincent Duclert). Cette commission, qui par la force des choses devra s’ouvrir (des personnalités éminentes comme Annette Wieviorka en font partie mais aucun connaisseur du Rwanda) a pour mission de régler le problème de l’accès aux archives, c’est-à-dire à terme de normaliser et d’apurer le dossier français du génocide.

Comment considérer cet ensemble d’événements et ces éléments ?

          J’ai pris l’option (en n’engageant ici que moi) de dire qu’en dépit de toutes les réserves qu’on peut exprimer, la journée du 7 avril sanctionne des avancées considérables, plus rien, après le 7 ne sera comme avant.
             Mais aussi rien n’est terminé, au contraire le travail commence. Il commence pour les historiens, il commence aussi pour tous les autres, pour tous ceux qui devront établir la possibilité et les règles d’un enseignement du génocide, et aussi réfléchir (et là c’est entre autres un travail pour notre association) à la place sans place du génocide, de celui « subi par les Tutsi » notamment dans la constitution de notre modernité.

  • élément pour aller, ou commencer à aller, dans ce sens : le texte d’une préface que j’ai rédigée pour le manuscrit de Diogène Bideri dont la Licra (de Dijon) soutiendra financièrement la publication. Ce texte vise, selon ce que j’en ai imaginé (à côté de la présentation du livre de Bideri) à introduire les paramètres
  • d’une réflexion nouvelle sur cette « place » du génocide : réflexion dont il me semble que la Licra pourrait prendre à son compte des éléments touchant ) notre situation d’hommes du XXIème siècle – ce que j’appelais notre modernité.

Je l’ai rédigé, pressé par l’événement en un peu plus d’une journée, et évidemment en bien plus de temps, et bon ou mauvais (il revient aux éventuels lecteurs d’en décider) je voudrais faire admettre qu’il représente une piste sur laquelle, dans la considération du génocide, et dans le prolongement de ce 7 avril, nous devrions nous engager.

Alain David

milles collines