Lettre au DDV sur Juppé

          Ce n’est pas parce qu’il est candidat aux primaires de l’UMP, candidat probable aux présidentielles, que je regrette l’article du dernier DDV qui en faisant d’Alain Juppé l’un des nôtres (« depuis longtemps militant à la Licra ») écorne certes la neutralité politique dont nous nous enorgueillissons. Même si la conscience de gauche que je suis (très vaguement) pourrait se sentir malmenée par un tel parti-pris, j’accepte volontiers l’idée que des personnalités de tous bords s’expriment à la Licra, qu’il est même souhaitable qu’elles s’y expriment (dans la mesure cependant où on ne leur sert pas trop ostensiblement la soupe).

         Le problème est ailleurs, et beaucoup plus grave : en avril 1994, Alain Juppé, homme de raison, humaniste, de grande culture, et opposant résolu à l’extrême-droite, était ministre des affaires étrangères d’un gouvernement de cohabitation, alors que commençait le dernier génocide du siècle.

Le 7 avril, le génocide commence et (nombreux témoignages à ce sujet, dont celui du sociologue André Guichaoua, par ailleurs hostile au FPR) le gouvernement génocidaire se constitue à l’intérieur de l’ambassade de France, sous l’œil complaisant de l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud.

Le 27 avril, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du gouvernement génocidaire et Jean-Bosco Barayagwiza son directeur de cabinet et chef des CDR, sont reçus au Quai d’Orsay par Alain Juppé.

Le 15 mai, alors que la plus grande part du million de Tutsi génocidés est déjà morte, ce dernier prononce, le premier au gouvernement français, le mot « génocide » (lequel était pourtant apparu dès le 12 avril dans les colonnes de Libération et du Parisien).

Le 22 juin commence la mission « Turquoise », voulue notamment par Edouard Balladur et Alain Juppé, mais dont les objectifs humanitaires affichés serviront à protéger les génocidaires (exemple, très documenté aujourd’hui, de l’épisode de Bisesero où la mauvaise volonté du commandement français est la cause de 3000 morts Tutsi supplémentaires).

         Il est impensable qu’Alain Juppé ait souhaité et fomenté ce qui est arrivé. Il était néanmoins l’une des personnalités clés du gouvernement, et la complaisance française aux crimes, la complicité, même, se sont produites alors qu’il était aux affaires, qui plus est dans le cadre étroit de son ministère.

Sa parole depuis, sur ce sujet, a été rare et toujours de dénégation. Il ne nous appartient pas de nous ériger en juges, et peut-être aucun jugement, au sens judiciaire du terme n’aura-t-il jamais lieu.

         Pourtant l’histoire passera, elle est en train de passer, et la responsabilité de ceux qui, ayant eu un jour la possibilité de dire non, ont seulement détourné le regard, sera interrogée.

En attendant, membre du comité de rédaction du DDV, du bureau exécutif, et responsable de la Commission nationale Mémoire, Histoire et Droits de l’Homme, je veux faire part de mon vif malaise lorsque je lis dans mon journal qu’ « Alain Juppé est depuis longtemps militant à la Licra ».

Alain David

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