Soixante-dix : un article du Bien Public publié le dernier jour de l’année 2009 rappelait la présence à Dijon d’une communauté rom de soixante-dix personnes, témoin à Dijon de ce qui devrait être pour l’Europe en 2010 « l’année des Roms ». Il faudrait ici pouvoir longuement évoquer ce qui possède la dimension du destin : un peuple arrivé il y a près d’un millénaire des Indes, représentant aujourd’hui douze ou quinze millions d’individus en Europe, avec de fortes minorités en Roumanie et en Bulgarie (en France ils sont peut-être 300 à 400000 personnes) ; mais surtout un peuple pauvre parmi les pauvres, jaloux de ses particularités culturelles, voué pourtant, auprès des nations européennes qui ne l’accueillent qu’avec réticence, à la posture catastrophique de la mauvaise fée toujours exclue du baptême de la princesse. Faut-il donner des exemples ? Il y a celui, en 2007, d’un ministre des affaires étrangères roumain, Adrian Cioroianu, proposant d’acheter en Egypte un morceau de désert pour y déporter les « délinquants roms » en camps disciplinaires. Il y a celui de la députée européenne d’extrême droite Alessandra Mussolini, dont les déclarations entraînèrent la dissolution de son groupe. Il y a, hélas, celui de l’administration française, qui, comme d’autres administrations de pays démocratiques, adopte vis-à-vis des Roms des dispositions discriminatoires (ainsi leur sempiternelle qualification comme « gens du voyage », alors que 90% de ceux qui vivent en France sont sédentarisés ; ou la nécessité de faire la preuve de trois ans de rattachement administratif pour obtenir une carte d’ électeur, là où il faut six mois pour les autres citoyens français, etc…).
Pour la Licra évoquer les Roms signifie d’abord être attentif à l’histoire européenne, se souvenir que cette histoire reste entachée par l’épisode de l’extermination ; savoir également que si la mémoire de l’extermination est chose malaisée et peut-être impossible, elle est, pour ce qui concerne les Roms, dont plus de 500000 furent assassinés dans les camps nazis, à peu près inexistante. Si l’expression « devoir de mémoire » a un sens, ce devoir vaut donc pour les Roms davantage que pour toute autre population, parce que, précisément, nous n’avons pas encore commencé à l’honorer.
Et ici ? Ils sont soixante-dix à Dijon, dans la plus grande précarité. Ces soixante-dix personnes, invinciblement, me font penser aux septante, les soixante-dix sages qui ayant traduit en grec la Bible avaient livré à l’Occident le message porté par la langue sainte. Le grand philosophe Emmanuel Levinas écrivit un jour : « j’appelle éthique la sainteté possible ». Ne faut-il pas, en ce commencement de la deuxième décade du XXIème siècle, reconnaître dans ces soixante-dix, comme une éthique à laquelle leur situation et leur histoire contraint, comme une occasion offerte d’entendre une nouvelle fois, dans notre français de Dijon, imprégné de terroir, en même temps que la figure de l’autre l’exotisme de la langue sainte, cette espérance de sainteté – « la sainteté possible de Levinas» – qui seule donne sens et dignité à la condition humaine ?